Hélène Bessette, l'injustice et l'insolence
- Présentation Nom de code : LNB7
- Entretien Matière vivante
- Papier critique Amours impossibles
- Autre papier Liberté totale
- Autre papier Deux raisons d’admirer la littérature d’Hélène Bessette
- Autre papier L’échappée solitude du roman poétique
- Autre papier Mystère B7
- Autre papier Une parole en colère
- Entretien « Contre l’ordre social et patriarcal »
- Bibliographie Bibliographie
En 1964, Marguerite Duras écrivait dans L’Express : « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France. »
À une époque où le Nouveau Roman triomphe (Nathalie Sarraute ayant publié quelques années plus tôt L’Ère du soupçon), où la littérature narrative traditionnelle s’épuise, l’œuvre d’Hélène Bessette apparaît comme un astre unique et inclassable.
Hors de toute école, de tout mouvement littéraire, je serais tentée a posteriori de l’inclure cependant dans un quatuor féminin, où elle aurait sa place aux côtés de Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Monique Wittig. Chacune de ces autrices possède sa singularité, Sarraute sur le versant de l’expérimentation, Wittig du militantisme féministe, quand Bessette, plus en affinité avec la sensibilité de Duras, explore une phrase ressassante, obsédante, dans l’expression d’un désir, une urgence à nommer, à dire, ce que l’informulé (le ça de la psychanalyse) occulte. Langue directe, sèche, précise, pour une œuvre trop longtemps méconnue.
Dans une zone intermédiaire entre le parlé (soliloque), et l’intériorité d’une prose très construite, son écriture m’évoque une autre grande dame de la littérature du XXe siècle, Gertrude Stein, dont un personnage homonyme à celui de Bessette, Ida, portait déjà en elle toute la vulnérabilité des invisibles (les domestiques, les petites gens).
Inaugurée par un auteur masculin (Flaubert, Un cœur simple), la bonne en tant que personnage romanesque à part entière fut présente dans le roman du siècle suivant comme figure d’aliénation ou de compassion : des Bonnes de Jean Genet, à la Céleste de Proust, ces petites figures du care (dirait-on aujourd’hui) révèlent l’hypocrisie majeure d’une société bourgeoise délétère et arrogante. Si l’on ne peut réduire Hélène Bessette à une écriture de la lutte des classes, rarement a-t-on vu dans la littérature, aussi fortement incarnée, la figure passe-muraille de la domestique, celle qui ne pense pas, à qui on ne laisse pas le loisir de réfléchir : « Ida (les Ida) ne peut se permettre de parler à Madame Besson avec la liberté de l’égalité. Ida est inférieure une fois pour toutes. » (Ida ou le délire)
La parole du dominant est violemment mise en résonance avec le silence du dominé. Ida est celle qui n’a pas pu mener sa révolte, encombrée par des pieds trop grands qui ont provoqué sa mort (accident, suicide, on ne sait plus).
Vingt minutes de silence, qui tient à la fois du récit et du témoignage de fait divers, interroge les dysfonctionnements pathologiques de la famille nucléaire.
Ainsi, Bessette a peut-être ouvert la voie à des œuvres importantes, à des voix féminines contemporaines incontournables (Annie Ernaux, Nathalie Quintane, Chloé Delaume).
Jean Genet, son exact contemporain, avait exalté les figures marginales de l’homosexuel, du prisonnier, du voyou héroïque. À une époque où la parole des femmes se libère, l’œuvre d’Hélène Bessette...