Hélène Bessette, l'injustice et l'insolence
- Présentation Nom de code : LNB7
- Entretien Matière vivante
- Papier critique Amours impossibles
- Autre papier Liberté totale
- Autre papier Deux raisons d’admirer la littérature d’Hélène Bessette
- Autre papier L’échappée solitude du roman poétique
- Autre papier Mystère B7
- Autre papier Une parole en colère
- Entretien « Contre l’ordre social et patriarcal »
- Bibliographie Bibliographie
Je l’ai lue pour la première fois il y a une dizaine d’années quand elle n’était pour moi que le nom d’un fantôme, écrivain méconnue dont je n’aurais su citer plus de trois titres mais dont je captais l’aura palpable. Il s’agissait alors de revenir à son œuvre, de la révéler, de la sortir de la zone de relégation et d’oubli où elle était délaissée depuis plus de trente ans, et sans doute aussi de contrarier les basses manœuvres des postérités littéraires. De fait, un mystère plane autour d’Hélène Bessette, disparue des radars après avoir publié treize romans en vingt ans (1953-1973), suscité l’enthousiasme de la critique, l’admiration de quelques grandes figures littéraires de l’époque (Queneau, Leiris, Aury, Sarraute, Duras, Mauriac), mais surtout après avoir inventé le roman poétique, autrement dit après avoir donné une nouvelle forme au roman – c’est tout ? Dès lors, la réédition de son premier roman, Lili pleure, est peut-être l’occasion de refaire le chemin depuis le commencement, d’accompagner sa trajectoire, un livre puis un autre, pour comprendre ce qui s’est passé avec elle. Éclairer son éclipse. Pourtant, si mystère B7 il y a, il est logé dans sa langue, et plus précisément dans cette voix qui en est le noyau radioactif, et tient chaque livre de la première à la dernière ligne. Une voix singulière qui énonce, décape, éclate comme on éclate un bloc de marbre en y enfonçant un coin, qui racle, évide, décharne, retranche toujours plus le gras de la langue toujours trop écrite du roman français. À la fois sauvage et ultraprécise, conciliant les voix de la narration romanesque et celle du poème, l’oralité physique et la musicalité intérieure, cette voix est la véritable énigme de l’œuvre de Bessette, sa part magnétique, sa grâce. Quand je lis Bessette, c’est à cette voix si rare, que je viens me connecter : j’entre dans le canyon sonore, je file sur une mer courte, j’escorte les souffles, les cris, et les silences.
Maylis de Kerangal