Hélène Bessette, l'injustice et l'insolence
- Présentation Nom de code : LNB7
- Entretien Matière vivante
- Papier critique Amours impossibles
- Autre papier Liberté totale
- Autre papier Deux raisons d’admirer la littérature d’Hélène Bessette
- Autre papier L’échappée solitude du roman poétique
- Autre papier Mystère B7
- Autre papier Une parole en colère
- Entretien « Contre l’ordre social et patriarcal »
- Bibliographie Bibliographie
Premier roman publié par Gallimard en 1953, Lili pleure installe le lecteur dans une « Provence ensoleillée » et épurée, « avec picasso, prévert et chêne vert, figue et garrigue ». Il est surtout le portrait de Charlotte, mère terrible dans son amour dévorant pour sa fille Lili (mariée à un homme qu’elle n’aime pas). Une mère abusive, possessive, infantilisante, qui ne déteste rien tant que sa fille connaisse le bonheur sans elle, et qui s’obstine à lui faire rater sa vie.
Heureusement pour Charlotte, avec la guerre qui débarque, l’Histoire vient lui donner un généreux coup de pouce, expédiant le mari à Dachau, « avec pour compagnie ses yeux couleur de peur », et lui rendant du même coup sa fille. Mais cette délivrance (une « bouffée / de grand air sous un ciel bas ») ne dure pas, d’une part parce que Lili profite de l’occasion (« l’absence de l’ennemi », Charlotte dixit) pour tomber amoureuse d’un berger un peu fou âgé de treize ans de moins qu’elle ; d’autre part parce que, contre toute attente, son mari revient des camps, avec ses yeux « couleur de souffrance » (« Parce que les guerres commencent mais elles finissent. / Le verbe finir existe comme le verbe commencer pour les guerres et pour le reste »).
Difficile de savoir si la mère est trop tyrannique ou si la fille fait preuve d’une loyauté excessive, allant jusqu’à se faire avorter pour ne pas peiner sa mère, et plus encore par peur de ce qu’elle pourrait dire (et il faut bien reconnaître que Charlotte est capable de dire n’importe quoi n’importe quand, comme de balancer à son gendre qu’elle le soupçonne de faire l’aimable avec elle parce qu’il lorgne sur l’héritage, ou de traiter ouvertement sa fille de « gourgandine »). Quoi qu’il en soit, dans ces pages, mariage et bonheur ne parviendront jamais à faire bon ménage.
Roman plein de « fâcheries de femme » écrit au présent et non à l’imparfait et au passé simple, Lili pleure s’achève sans véritablement s’achever (véritable marque de fabrique du roman bessettien), se contentant de s’en aller « doucement / Comme un feu qui s’éteint / comme un feu qui s’éteint / comme un feu qui s’éteint ». Un roman souvent ironique paraissant toujours hésiter entre le réquisitoire et la comédie, entre l’écriture romanesque et la poésie (« une sorte de clivage prose-poésie »), mais capital en ce qu’il est annonciateur de l’œuvre à venir. Dans On ne vit que deux fois, Bessette reconnaissait d’ailleurs : « N’aurais-je écrit que ce seul livre qu’il compterait ».
Lili pleure, d’Hélène Bessette
Le Nouvel Attila, « Othello », 176 p., 18