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Théâtre Ovni polaire

janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219 | par Patrick Gay Bellile

Les conversations flamboyantes d’une improbable communauté humaine, par William Pellier. Où les voix se font et se défont.

Tout commence par un entretien avec l’auteur au cours duquel il déclare : « Je crois être un auteur difficile à lire, qui donne du fil à retordre à son lecteur, à ses metteurs en scène et comédiens. » Il est difficile d’être plus clair et nous voilà prévenus. L’action de sa pièce se déroule en Norvège, à Longyearbyen, la ville la plus au nord de l’Europe, où William Pellier a séjourné en résidence, en 2007, envoyé par le Théâtre de la Tête Noire. Dans cette ville minière se trouve une maison dans laquelle vivent quatre personnages : une femme, un ours blanc qui a travaillé dans une banque et qui est son mari, une grand-mère admiratrice et nostalgique d’Hitler et un enfant dont on parle parfois mais qui ne dit pas un mot. Plus un chien. Ils seront rejoints par le docteur, neurologue, bibliomane et comédien amateur, puis par deux banquiers cherchant à échapper à une tempête de neige et enfin par le prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz. Le vrai. L’un des deux banquiers n’est autre que Michel Pébereau, le vrai là encore, qui fut PDG de la banque BNP-Paribas pendant dix ans, de 1993 à 2003. L’autre prétend s’appeler Bouton, et l’ours se souvient avoir lu quelque part que Daniel Bouton présida, à peu près à la même époque, aux destinées de la Société générale. Ce qui permet à l’auteur d’affirmer que « On pouvait en déduire que l’action se passait à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe siècle, comme Hamlet pouvait être une action d’hommes du XVIe siècle.  »
Et tous, ainsi rassemblés pour échapper au froid et à la nuit polaire, vont dire, redire, rabâcher, dire encore mais différemment, expliquer, contredire, affirmer, réfléchir, tandis qu’une grande baie vitrée leur prouve en permanence qu’ils sont bien là où ils sont, et que le monde dont ils parlent est de l’autre côté, à quelques pas, mais à l’extérieur. Leurs propos sont précisés par des didascalies, dont le texte fourmille, et qui viennent ponctuer, interrompre, expliquer, prolonger voire remplacer le texte. Elles font partie intégrante de l’œuvre et leur singularité apparaît uniquement par une mise en italique. Enfin, les notes de bas de page jouent un rôle tout aussi important et ouvrent la lecture sur des références littéraires, politiques, musicales ou cinématographiques. Et ces trois modes d’écriture, et donc de lecture, se complètent si bien que nous avons au total en face de nous un texte dense, aux bifurcations incessantes, et qui nous surprend, nous interpelle et nous maintient constamment en éveil. Par exemple : «  Il n’est pas à l’école (s’étonne Pébereau) le gosse. Il ne veut plus y aller – il sait qu’il n’aura pas de travail (dit la femme. Pébereau haussa les sourcils. Franchement il ne s’attendait pas à cette réponse). Le travail – les diplômes (soupire Bouton) c’est l’envie d’en découdre qui compte. Vous voulez en découdre (demande Stiglitz qui paraît sauter sur l’occasion. Il avait envie de. Bouger). Volontiers – mais sur le tapis (dit Bouton). Il n’a pas grossi le gosse (demande le docteur en le désignant du doigt). Vous êtes rouillé (demande Stiglitz). Il est en pleine croissance (suggère Pébereau).  » D’autant plus qu’une voix, venue d’on ne sait où, vient régulièrement donner son point de vue ou placer un grain de sel dans une conversation déjà très épicée, et qu’en plus vient s’ajouter le son de la télévision que la grand-mère allume régulièrement parce que « C’est l’heure ! »
William Pellier s’amuse avec ces différents modes de lecture et, passant de l’un à l’autre, nous entraîne là où il veut, abordant les sujets les plus divers, imaginant même que la voix des personnages brutalement se défait et qu’ils perdent leur langue : « Nous baragouinions des choses sans queue ni tête – oh ! c’était épuisant (soupire-t-elle) ». Il jongle avec les codes pour mieux approcher le langage, sa structure, les sens possibles qu’il véhicule mais aussi la manière dont il est perçu ou non par l’auditeur à travers les jeux de mots, les sous-entendus, les phrases à double sens, les conversations parallèles, les répétitions ou les divagations verbales.
Au gré de la conversation, les sujets les plus divers sont abordés, du complotisme aux théories économiques d’Adam Smith, d’un extrait de De la démocratie en Amérique d’Alexis Tocqueville aux mérites contrastés d’avoir épousé un ours. Texte foisonnant, dense, ludique et savant qui nous entraîne sur des chemins que l’on ne s’attendait pas à parcourir, naviguant de la faute d’orthographe corrigée par le personnage qui l’a commise à des considérations métaphysiques élevées. C’est une œuvre puissante, déroutante, et d’une grande richesse si l’on accepte de se laisser entraîner par les eaux d’un fleuve parfois tumultueux.

Patrick Gay-Bellile

Vesterne
William Pellier
Éditions espaces 34, 176 pages, 17

Ovni polaire Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°219 , janvier 2021.
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