Contemporain de Raymond Roussel, des surréalistes et d’Artaud, proche de Georges Bataille, Michel Leiris (1901-1990) a traversé un siècle en s’interrogeant sur l’Homme et sur la Lettre. Ethnologue et écrivain, essayiste et prosateur, il a laissé un journal important, des mémoires qui ne peuvent être réduites à la simple notion de « souvenir » et des livres jouant de la langue à l’instar de ceux que tressèrent Ponge, Tardieu ou Queneau. Glossaire j’y serre mes gloses est, avec L’Afrique fantôme et L’Âge d’homme de ces titres qui ont marqué le siècle dernier et ne cessent d’interroger les individus d’aujourd’hui. Sa célèbre conception de l’autobiographie menaçant comme une « corne de taureau » le scripteur par sa vérité, sa loyauté dans le contrat qui le lie à son lecteur en a fait une sorte de père tutélaire de l’autobiographie française – dont il n’aurait probablement pas justifié les dérives pour autant. Réputé discret, Michel Leiris a droit à ce que l’on marque le cent-vingtième anniversaire de sa naissance – une curiosité commémorative qui l’aurait sans douté amusé. Entretien avec l’ethnographe Jean Jamin, son collègue et ami, un témoin idéal pour nous éclairer.
Jean Jamin, à quel moment avez-vous rencontré Michel Leiris ?
En février 1977, au département d’Afrique noire du Musée de l’Homme où je venais d’être nommé, après avoir été chercheur à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom) et effectué un long séjour en Afrique noire, menant des enquêtes ethnographiques sur les rites d’initiation chez les Sénoufos du nord de la Côte d’Ivoire. De manière pour ainsi dire rétrospective et comme s’il s’était agi d’un « hasard objectif », je croisai là, à près de 50 ans de distance, le parcours de Leiris qui avait commencé sa carrière d’ethnologue en étudiant la langue secrète de l’initiation chez les Dogons au sud-est du Mali, pendant la Mission Dakar-Djibouti dirigée par Marcel Griaule.
Était-il accueillant ?
Je dirai oui, bien qu’une timidité naturelle, sur laquelle il s’est exprimé (notamment dans L’Âge d’homme et son Journal), eût laissé croire à une froideur, et même à de l’indifférence vis-à-vis de ses interlocuteurs. Toujours est-il qu’un matin – ce fut là le début de notre amitié – il me parla longuement du livre que je venais de publier et lui avais fait envoyer par l’éditeur. Il s’agissait d’un essai (Les Lois du silence. Essai sur la fonction sociale du secret, Maspero, 1977) où, « le hasard objectif » réapparaissant, il trouvait exposé et démontré, avec de nouvelles preuves ethnographiques, ce qu’il avait lui-même établi 50 ans plus tôt chez les Dogons, et que, par un de ces ricochets quasiment surréalistes, il avait vécu au sein de son propre cercle familial, à savoir que « le secret est qu’il n’y a pas de secret ».
Pouvez-vous nous expliquer ?
C’est, ma foi, ce qu’on appelle – belle expression qui touche au monde de l’enfance que Leiris...
Entretiens L’île Leiris
mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221
| par
Éric Dussert
Voué à la double observation des sociétés humaines et de sa nature intime, Michel Leiris a composé un territoire littéraire balisé par la confession et les jeux de l’esprit. Entre abandon et réserve…
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