Ce n’est pas vraiment une autobiographie que Jacques Le Brun, mort du coronavirus à 88 ans en avril dernier, signe ici. C’est plutôt un essai de généalogie dont le souvenir vaut arborescence : « Le souvenir se donne l’appui d’une biographie, la suite des âges et des pensées, mais dès qu’il s’écrit, cette écriture ruine toute vérité biographique, toute tentative pour construire un itinéraire. » Celui qui était, entre autres choses, un éminent spécialiste de l’histoire religieuse retrace un cheminement d’homme entre transgression et émerveillement. Cette chapelle de la rue Blomet qui donne son titre à ce très court livre accueille ce qu’il appelle « un moment inaugural » : nous sommes en 1938 et l’enfant, en pleine liturgie de la messe, a une révélation… qui n’est pas celle qu’on pourrait croire – vous verrez bien. À partir de là et à travers le temps, Le Brun sera souvent saisi par une personne, une vision, un objet, une situation. Ce sont ces résonances intérieures qu’il restitue avec finesse, choisissant d’écrire à la troisième personne pour davantage de distance. Se confirme chez cet homme doué d’une forte sensibilité, ces pages très personnelles organisées en brefs chapitres en témoignent, un véritable sens du punctum, cette piqûre sensorielle qui laisse une trace indélébile. Jouant sur la réflexivité de sa remémoration, Jacques Le Brun a su trouver une forme pour traduire la façon dont il a traversé le monde et la manière dont le monde l’a traversé. Ce petit livre déroule une série d’archives intimes sur le modèle de ce que Walter Benjamin, d’ailleurs cité, appelait « images de pensée ». Ces éclats distanciés donnent sens et profondeur à une vie.
Anthony Dufraisse
La Chapelle de la rue Blomet
Jacques Le Brun
Encre marine, 90 pages, 16,90 €
Domaine français La Chapelle de la rue Blomet
avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°222
, avril 2021.