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Égarés, oubliés La pétoche des gogos

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Éric Dussert

Poches lestées par la malchance, William Lindsay Gresham a laissé sur le monde des bonimenteurs un livre magnifique désormais classique.

Connu pour son seul Charlatan, désormais rétabli dans son titre original d’Allée du Cauchemar (Nightmare Alley pour l’instant), Gresham n’était pas l’auteur d’un seul livre. Une récente publication de son Peuple du Grand Chariot (cf. Lmda N°220) avait apporté la démonstration qu’il pouvait faire preuve d’une grande imagination et que son essai sur Houdini, l’homme qui a traversé les murs (1959) ne pouvait le faire ranger dans la catégorie des auteurs monomaniaques spécialisés dans un domaine, en l’occurrence celui du spectacle forain. Son Peuple du Grand Chariot est une brillante et étrange utopie post-apocalyptique décrivant une société où les Roms ont pris l’ascendant parce qu’ils ont su maintenir les savoirs non écrits liés au travail du métal avec leur activité de ferblantiers.

William Lindsay Gresham avait, quoi qu’il en soit, un tropisme qui le poussait à vivre parmi les marginaux, et à les étudier. Au cours d’une vie triste de « geeky », ainsi que le décrivent ses biographes américains, il connut en 1947 son heure de gloire avec la sortie du film Le Charlatan tiré de son roman noir Nightmare Alley. Tourné par Edmund Goulding pour la 20th Century Fox en 1947 avec Tyrone Power et Joan Blondell, il lui valut une renommée éphémère dans le grand public mais tenace chez les cinéphiles. Grand film noir pour grand roman noir. Publié dans la foulée en 1948 en France chez Julliard, le livre ne poussa pas à une exploration bien soutenue de la personne de son auteur, brave homme ballotté par la vie, attaché à rien et contraint à cent boulots différents, jusqu’à rédacteur de pulps… et adepte de toutes les doctrines mystico-ésotériques qui passent.

Né le 20 août 1909 à Baltimore, c’est en arrivant, enfant, à New York qu’il découvre l’univers des foires. Il semble n’en être sorti jamais. D’autant que, militant de gauche, lorsqu’il s’engage auprès des Républicains espagnols durant la Guerre d’Espagne, il fait la rencontre d’un mentor en la personne de Joseph Daniel Doc Halliday, un ex-bateleur qui lui dévoile la vie secrète de ce milieu à part. Deux de ses livres, dont Monster Midway. An Uninhibited Look at the Glittering World of the Carny (1954) et son chef-d’œuvre en portent les évidentes traces. Rentré aux USA, il connaît une vie difficile : d’abord la tuberculose l’attaque dès son retour en 1939, puis il tente de se suicider et l’alcool ruine son mariage avec la poète Joy Davidman (1915-1960), dont il a deux garçons – elle sera ensuite l’épouse de C. S. Lewis. Mais Gresham ne manque pas de ressort et trouve dans un second mariage la force de lutter. Il écrit alors Limbo Tower, jamais traduit, où il évoque son expérience du sanatorium et revient sur les arnaques, en particulier celles des bonimenteurs religieux Mais le sort s’acharne : en 1962, il perd quasiment la vue et un cancer lui ravage la langue alors qu’il écrit pour subsister un livre pédagogique sur le culturisme. Pour retrouver sans doute l’ambiance de cette période où le succès ne lui fuyait pas encore, c’est dans l’hôtel où il avait rédigé Nightmare Alley qui se donna la mort, le 14 septembre 1962, en avalant des somnifères. Il avait 53 ans. La presse resta coite, à l’exception d’un magazine de bridge… L’amateur de tours de cartes qu’il était y aurait sans doute vu malice. Il pouvait, lui, prétendre rejoindre ceux qui tout au long du siècle ont braqué le projecteur sur les sombres recoins de l’âme et du monde. La Route au tabac, Le Grand Sommeil, Le Faucon de Malte, aucun de ces romans ne paraît déplacé à côté de Nightmare Alley, compendium d’expériences humaines placées sous l’influence délétère des lames d’un tarot et d’une belle Zeena, d’une jeune Molly et d’une psychiatre de la Haute. Un jeune homme fugueur se retrouve expert en escroquerie au psychisme puisque les gogos, les jobards, les poires, les gobeurs de billevesées sont légion. C’est son parcours que conte Gresham pointant le double ressort du cambriolage des cœurs et des esprits : l’entourloupe aux défunts qui reviennent faire un signe et, à l’instar des pires personnages politiques : « La peur. Découvrir par quoi ils sont effrayés et le leur revendre. Voilà la clé. »
Tout dans ce livre magnifiquement pessimiste laisse impression. On n’oubliera plus le cirque itinérant d’Ackerman et Zorbaugh… Cherchant à tout prix un effet de nouveauté, son édition 2021 a fait un choix de traduction en conservant le mot « geek » là où Denise Nast avait posé « homme sauvage », « monstre » ou « homme-vampire », qui ne paraît pas s’imposer, même s’il évoque les « Freaks » bien connus… Le « geek », être informe certes mais désormais en tee-shirt, est réservé dans notre acception aux nerds vissés à leurs claviers… D’autant que dans ce livre, un soin tout particulier est accordé au langage, ressort de tous les stratagèmes : « La langue le fascinait. (…) Il avait découvert la raison pour laquelle les vieux machinistes forains affectaient de parler de cette manière très particulière – c’était un ramassis de tous les dialectes des diverses régions de ce vaste pays. Un langage qui, aux oreilles des habitants du Sud, avait une résonance méridionale, et occidentale aux oreilles des gens de l’Ouest. C’était le parler de la terre, et sa lenteur affichée servait à masquer l’agilité du cerveau qui lui donnait naissance. C’était une langue apaisante, illettrée, sortie de l’humus même. » Pour une fois, on va se laisser embobiner bien volontiers par le Loyal Gresham.

Éric Dussert

Nightmare Alley,
William Lindsay Gresham
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Denise Nast
revue par Marie-Caroline Aubert
Gallimard, « Série noire », 454 p., 22

La pétoche des gogos Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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