Xavier Bazot : éclats d‘une voix
Composé de fragments de longueurs inégales, Fresque et Mosaïque n’appartiendrait au roman que par le fait que les personnages n’aient pas ici les prénoms qu’ils portent dans la vie. Hormis le narrateur, père de deux filles, compagnon d’une femme journaliste qui l’appelle Xavier. Ces fragments sonnent comme des notes sur une partition de musique de chambre, ou d’une composition à la Satie qui allierait à la tendresse la précision et la justesse des accords. Même si la temporalité ne suit pas la chronologie des événements, on voit vivre une famille parisienne, ou plutôt on la voit, à travers l’acuité de l’auteur, saisie dans des moments suspendus, chacun présenté dans une longue phrase qui en déploie les circonstances et en révèle la portée. Pas d’intrigue ici, mais l’émergence peu à peu d’une existence aux facettes multiples au centre de laquelle grandissent les deux filles du couple, Lamiel et Armance, sœurs d’un frère qu’elles n’ont pu connaître, mort en bas âge avant leur naissance. Xavier Bazot excelle à noter une parole de l’une ou l’autre susceptible d’éclairer avec innocence la voie prise par le couple quand lui se rêvait libre de toute attache et se retrouve en charge du bain, de l’habillage, des promenades avec landau, puis d’accompagner à l’école les filles, de réparer comme il peut une chasse d’eau défaillante. Le métier de père en lieu et place d’un destin de clochard céleste… Lumineux, le livre l’est par la délicatesse de sa prose qui colle à celle, presque maladive, de son auteur : l’histoire d’un plat de faïence, acquis chez un brocanteur, en est une belle parabole qu’on ne saurait résumer tant l’écriture participe à la réussite de son récit. Les objets, ici, portent la mémoire de la famille, de même que l’appartement qu’elle habite, porte la mémoire de Paris et de ceux qui l’ont habité.
En quête du point focal cher à l’auteur, on finit par découvrir que c’est cet appartement qui légitime tout le livre. On le voit vieillir (pannes et fissures), accueillir les cadeaux des amis, de la famille. Recevoir les cartes postales que filles et compagne envoient de leur lieu de vacances au narrateur qui préfère sa solitude de lecteur aux plages et à la montagne. On saisit que se sont accumulés là livres et objets rapportés des résidences à l’étranger. On sourit à la résilience du couple qui évite régulièrement de subir les augmentations du loyer. Et puis, « sonne à notre porte un grand flandrin, aux gestes mous, clerc de notaire, se présente-t-il, messager d’une lettre officielle qui nous signifie la mort, âgée de 103 ans, de la propriétaire de l’immeuble, ainsi que la volonté de son héritière de fille de vendre la bâtisse à la découpe (…) » Le bâtiment va être défiguré, ses habitants vont partir, l’un des nouveaux copropriétaires transforme les greniers en studios Airbnb… Le bel escalier central est rogné pour y installer un ascenseur. Voilà, il faut quitter définitivement ce lieu où Théodore vécut une journée et Lamiel et Armance...