Le Poète est sous l’escalier
Les lecteurs que nous sommes savent qu’il est des lectures qui en réveillent d’autres. Une phrase lue suscite un souvenir, déclenche un écho, engendre une résonance. C’est ce genre de correspondance qui se produit dans l’esprit du lecteur, et qui apparie des auteurs et des regards semblables sur un même thème, que Jacques Lèbre collectionne. Une suite de saisies, un patchwork de citations qu’il a organisé comme des « promenades à travers des correspondances », et qu’il a réunies dans Le Poète est sous l’escalier.
Il y regroupe des réflexions de plus d’une soixantaine de poètes ou écrivains sur des thèmes aussi inépuisables que la poésie, l’amour, la mort, notre rapport au temps, aux livres, à la solitude, à l’identité, au suicide, au style – dont Michaux, par exemple, stigmatise l’aspect sclérosant : « Tâche d’en sortir. Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse plus suivre. »
Un livre à l’architecture mouvante qui invite à se montrer attentif aux jeux de miroirs, aux rapports de porosité, aux effets de symétrie. Bâti comme un système de rimes et d’échos, il s’attache aux dynamiques secrètes des affinités si habiles à se jouer du temps comme de l’espace. Qui donne aussi des envies de lectures, rend hommage aux écrivains « buissonniers », ceux qui « n’écrivent pas de romans », les Joël Cornuault, Gilles Ortlieb, Jean-Christophe Bailly, Pierre-Albert Jourdan, Georges Perros, Paul de Roux, Claude Dourguin…, de « merveilleux » écrivains qui sont aussi des poètes, dont la place est sous l’escalier – en référence à saint Alexis, ce fils de sénateur romain ayant choisi la vie cénobitique et qui, de retour chez lui, n’est pas reconnu, et n’a droit qu’à une place sous l’escalier, « là où tous doivent passer devant lui sans que personne n’y prête attention ».
Richard Blin
Le Poète est sous l’escalier
Jacques Lèbre
Corti, 98 pages, 16 €