Leningrad, 1974. Le personnage principal – Gilles Leroy, âgé de 16 ans – accompagne un groupe de communistes et sympathisants à travers l’URSS. Sur le modèle de ce qu’avait inventé Potemkine pour Catherine II, la visite est plus qu’organisée, en fait préparée au cordeau et constamment surveillée afin que ces alliés venus du terrible monde capitaliste puissent se réjouir des réalisations de l’avenir radieux socialiste – toujours à venir. Il est donc plus qu’improbable que la moindre surprise survienne, moins encore une rencontre amoureuse, qui est plus est homosexuelle. Gilles Leroy, écrivant ce récit vingt ans après, se retourne vers ce passé et parvient à mêler ironie acerbe et émotion contenue. Il dénonce l’hypocrisie et le mensonge régnant, observe « ce qu’il y a de faussé, d’irrémédiablement manqué » dans les existences des jeunes Russes qu’il côtoie. Il offre de belles descriptions de ce Leningrad estival, celui des nuits blanches et de la canicule, dans lequel il vagabonde au hasard, ville « souveraine, pathétique, cernée d’une eau équanime ». Il y croise un musicien solitaire contre lequel s’acharne la milice, un étudiant africain qui lui demande d’acheter pour lui des cigarettes occidentales – qui lui sont inaccessibles… Il tente surtout de comprendre ce que fut cette relation furtive, à la fois solaire et nocturne, avec ce Volodia qui, bien que dix ans plus âgé que lui, « embrassait comme un voleur novice » et n’avait pas « assez d’yeux pour faire le tour des menaces du monde ».
Ce n’est pas vraiment la nostalgie qui l’emporte mais plutôt, avec ce premier essai avorté, la prescience des échecs futurs : « une phrase vient hanter mes lèvres, souvenir d’Albert Cohen : Et je restai seul, avec mon ridicule amour en chômage. » La belle scène de l’adieu est comme une prophétie – de malheur : « Il pleurait glacé. Il m’apprenait, puisque c’était son rôle, à honorer toute mission jusqu’à son terme le plus extrême – mais c’est plus tard, seulement plus tard que je le saurais, et comment se soldent ces comptes-là, déficitaires à vie ».
Thierry Cecille
L’Amant russe
Gilles Leroy
L’imaginaire/Gallimard, 143 pages, 8 €
Poches L’Amant russe, de Gilles Leroy
mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231
| par
Thierry Cecille
Un livre
L’Amant russe, de Gilles Leroy
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°231
, mars 2022.