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Essais Connecte-toi toi-même

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Christine Plantec

Lorsque la linguistique et les neurosciences explorent expérimentalement ce dont la littérature avait l’intuition vis-à-vis du monologue intérieur, ce courant de conscience fascinant et complexe.

Le Mystère des voix intérieures

Le Mystère des voix intérieures est un livre passionnant et bien que le titre fasse davantage penser aux romans de Gaston Leroux ou d’Agatha Christie, c’est à un essai sur le monologue intérieur, très fouillé et remarquablement stimulant, qu’Hélène Loevenbruck se consacre.
Sous la plume et le microscope de la linguiste et directrice de recherche d’un laboratoire de psychologie et de neurocognition, on entre dans l’univers de ce langage silencieux dont la chercheuse précise d’emblée le spectre car plutôt que du très générique monologue intérieur, elle préfère parler d’endophasie.
Mais quel est donc le sens de ce néologisme ? C’est « l’acte de parler à soi-même silencieusement, mentalement. C’est l’expression silencieuse de la pensée au sens large, d’une forme verbale ». Ainsi, même si toute notre vie intérieure n’est pas réductible au langage, cette parole qui soliloque, dialogue, ratiocine, ressasse, remémore, énumère, mémorise, vagabonde… occupe dans nos vies d’êtres de langage la majeure partie de notre temps. À en croire Noam Chomsky « probablement 99,9 % de l’utilisation du langage est interne à l’esprit. Vous ne pouvez pas passer une minute sans vous parler à vous-même » (The Science of Langage, interview, 2012).
C’est cette petite voix dans la tête que la chercheuse analyse à partir de données scientifiques, d’enquêtes réalisées auprès d’un vaste public, d’extraits d’œuvres littéraires et des travaux de ses pairs (notamment les deux linguistes français Gabriel Bergounioux et Stéphanie Smadja). L’ouvrage est construit comme une enquête dont on est le héros, de sorte qu’on se laisse prendre au jeu de cette déambulation savante et joyeuse dans les arcanes d’un continent silencieux.
En lisant, on se prend à écouter d’une manière encore nouvelle notre petit ronron intérieur. On apprend par exemple que l’endophasie s’accommode très bien de la condensation, c’est-à-dire d’une langue qui n’ayant pas besoin d’être articulée, est un continuum de bribes agglutinées comme le monologue final de Finnegans Wake de Joyce où ne subsistent que lambeaux de phrases ou mots-valises… Par ailleurs cette petite voix intérieure, bien que solipsiste, met régulièrement en scène l’autre sous forme de dialogue fictif, développant chez la personne son potentiel délibératif avec un autre qui n’existe pas mais qu’on imagine : l’incipit d’Enfance de Nathalie Sarraute est, de ce point de vue, exemplaire. Alors bien sûr, rappelle Loevenbruck, « nous sommes équipés (psychologiquement) pour gérer mentalement plusieurs voix », mais notre capacité de penser n’est possible que si elle pose à l’intérieur de soi une dualité qui la pousse à se dépasser. Je est (aussi) un autre. Enfin, si l’endophasie est volontaire comme dans la prière ou la remémoration d’une conversation, ce n’est pas le cas comme lorsqu’on passe du coq-à-l’âne ou que des paroles se disent sans qu’on ait l’intention de les prononcer. C’est autant le cas du schizophrène qui entend des voix lui intimant des ordres que celui de l’écrivain retranscrivant des dialogues sous la dictée, ainsi que le déclare Charles Dickens ou Anna Akhmatova dans son poème La Muse. À la différence que l’un s’en effare lorsque les autres l’accueillent.
En bloquant cette capacité, on parvient à identifier ses fonctions cognitives. Non seulement l’endophasie sert à penser, à connaître, à mémoriser – ce qui permet tous les apprentissages « par coordination, guidage et contrôle de nos comportements et de nos émotions » –, mais elle permet l’autoanalyse de soi, capacité réflexive indispensable (métacognitive) car structurante au présent et dans le temps : « j’assiste à l’éclosion de ma pensée, je la regarde, je l’écoute » écrit Rimbaud à son ami Demeny. C’est « l’autonoèse » qui émaille les récits autobiographiques comme si devenir soi passait par le fait de se raconter à soi-même.
Penser, se souvenir, se raconter, imaginer : autant d’activités qui prônent le « vagabondage studieux », l’otium grec développé en même temps que la philosophie et la démocratie et dont l’auteure nous rappelle ici l’impérieuse nécessité.

Christine Plantec

Le Mystère des voix intérieures
Hélène Loevenbruck
Denoël, 350 pages, 19

Connecte-toi toi-même Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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