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Domaine étranger Le monde vu de la vallée

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Camille Cloarec

Iochka nous transporte de plain-pied dans l’univers du Roumain Cristian Fulas, éditeur et traducteur de Proust – vaste, impétueux, ardent.

Il faisait partie intégrante de la vallée au même titre que les arbres, que la rivière et le chemin sur lequel il avait vieilli à le parcourir tant de fois d’un bout à l’autre, à tel point que si on l’avait obligé à y marcher des heures durant, un bandeau sur les yeux, il aurait su exactement, à chaque seconde, où il se trouvait. » Ainsi s’ouvre le roman, selon des phrases fleuves décrivant un village isolé en plein cœur de la chaîne montagneuse des Carpates, peuplé d’une poignée d’individus solitaires. Parmi ceux-ci, un homme à l’allure peu conventionnelle chevauchant sa moto avec « le bas de la soutane flottant au vent et la tête découverte » : il s’agit du pope. Son tempérament sanguin le pousse à alimenter des débats qui semblent ne jamais vouloir prendre fin avec le docteur du coin, un athée convaincu, que le contremaître s’efforce d’atténuer. Quant à Iochka, il est sans le savoir « le gage de leur univers ».
Ce dernier a rejoint la vallée il y a plusieurs décennies de cela, après avoir connu les horreurs de la guerre. Né dans une famille de maréchaux-ferrants, il est envoyé se battre contre les Russes sur la ligne de front de Kletskaïa en 1942. Là-bas, il découvre les steppes russes embourbées, l’inévitable mal du pays et l’apocalypse que génère chaque bombardement (« la force ahurissante de cette pluie qui métamorphosait tous ces pauvres hommes, venus conquérir ou défendre des contrées qui n’étaient pas les leurs, en bêtes terrorisées incapables de se cacher nulle part et qui ne pouvaient qu’attendre, prier, pleurer et rire »). Iochka est ensuite capturé par le camp ennemi et passe dix ans dans un camp de concentration, où il est affecté à la fabrique de munitions. Le temps se fige, le récit ne s’attarde guère, le personnage s’empresse d’oublier. « Prisonnier dans un monde où la paix régnait sans qu’il le sache, il ne soupçonnait même pas qu’il pouvait y en avoir un autre où les gens n’étaient plus tués sans être coupables de rien ni obligés de travailler comme des bêtes de somme. »
Nous ne découvrons véritablement Iochka que plus tard, alors qu’il a recouvré la liberté et habite en ville. Deux rencontres décisives vont bouleverser son existence : celle avec la vallée, qui a tout du coup de foudre (« et à un tournant, devant lui, s’est fièrement dressée la montagne dont il ne pourrait plus jamais se séparer le cœur léger, la grande montagne blanche, avec ses rayures de forêts qu’il a aimée dès le premier instant comme une femme que l’on ne peut plus oublier »), et celle avec Ilona, une ouvrière dont il tombe aussitôt éperdument amoureux. Ce sont ce paysage et cet amour qui donnent au roman sa tonalité, son rythme et sa poésie. Peu importe là où nous nous situons, dans le passé ou bien le présent, voire dans le futur, car la narration mélange allègrement les strates de vie, la beauté tout à la fois hostile et chatoyante de la nature ainsi que le désir, l’affection, le bouillonnement propres à la passion amoureuse nous traversent. Ils habitent le livre, d’une manière (tangible, physique et lyrique) comparable à celle de l’écrivain islandais Jón Kalman Stefánsson, par exemple.
Iochka quitte la ville pour devenir outilleur à la voie ferrée qui parcourt le village, ignorant alors qu’elle sera délaissée bien plus tard, quand la vallée sera défigurée par des bâtisses luxueuses. Avec lui (bientôt rejoint par celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer) « commence ici une nouvelle ère. Il aura un enfant, dans notre vallée naîtra un enfant. Et cet enfant posera les fondations d’un cimetière ». Sa petite famille constitue le noyau dur autour duquel gravitent les villageois. Le mariage, la naissance de l’enfant et son baptême sont autant d’événements fondateurs qui incarnent désormais le lieu. Le reste semble bien lointain et n’a que très peu de résonance dans la montagne.
Les cinq cents pages de Iochka se font l’écho d’une destinée de près d’un siècle, humble, tendre, lumineuse, secouée par les tragédies de l’Histoire, entraînée par les joies et les douleurs propres à chaque existence, emportée par une écriture ample, émouvante, tumultueuse. Et, dans ce flot de phrases, c’est malgré tout le silence qui l’emporte – car « sans dire un mot, le vieil homme semblait raconter l’histoire du monde entier ».

Camille Cloarec

Iochka
Cristian Fulaş
Traduit du roumain par Florica et Jean-Louis Courriol
La Peuplade, 568 p., 23

Le monde vu de la vallée Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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