Un livre

Rendez-vous à Kiev/L’escalier d’Odessa

de Philippe Videlier

Editions Gallimard

Comme à son habitude, Philippe Videlier nous entraîne en un voyage historique, cicérone à la fois malicieux et acerbe. Cette fois-ci, c’est vers l’Ukraine des débuts du siècle dernier, à Kiev puis à Odessa, qu’il va nous guider. Ces lieux aujourd’hui agressés, martyrisés, étaient alors happés par la Révolution, déclenchée chez les voisins russes, devenus soviétiques, et s’étendant, au moins durant quelques années, par une sorte de contagion d’enthousiasme. Dès l’abord, une citation en exergue nous interpelle : alors que nous avons « l’idée fausse que le progrès humain a déjà réalisé ses plus grandes conquêtes, tout à coup, la guerre nous rappelle que nous marchons encore à quatre pattes et que nous ne sommes pas encore sortis de l’ère barbare de notre histoire ». Ces lignes malheureusement d’actualité furent écrites en octobre 1912, dans le journal La pensée de Kiev, par un mystérieux Antid Oto.
Nous apprendrons bien vite que derrière ce pseudonyme se cache en fait Trotsky – et nous découvrirons alors, autour de lui, d’autres personnages aussi hauts en couleur : Alexandra Kollontaï, Christian Rakovsky ou encore Petlioura et Makhno, frères ennemis dans cette Ukraine – alors et déjà – déchirée, écartelée puis affamée. À Odessa, nous retrouverons Eisenstein et la sublime séquence de l’escalier du Potemkine. Philippe Videlier fait montre ici d’une sorte d’érudition décalée, d’une attention souvent sarcastique mais non dénuée d’humanité envers ces acteurs de l’Histoire, coupables ou victimes, coupables puis victimes parfois. Il tire de tout cela des leçons modestes : « Le destin ne fut clément pour personne » ou choisit le silence : « La suite est trop triste pour être racontée ». Il n’hésite pas, cependant, dans les dernières pages, à accuser le tsar actuel, aussi terrible que certains de ses prédécesseurs, et conclut par un vœu (pieux ?) : « La Russie, il faut l’admettre, a une tradition solide de tyrannicide ».

Thierry Cecille

Rendez-vous à Kiev
Philippe Videlier
Gallimard, 175 pages, 18 €