La nouvelle édition (augmentée) de La Poésie entière est préposition, de Claude Royet-Journoud, dont l’œuvre – patiente (quelque vingt livres en plus de quarante ans d’écriture, quelques revues et anthologies dirigées, quelques traductions) et pugnace – trace une ligne unique dans ce que l’on a appelé, d’abord par simple péjoration, la poésie blanche, ou négative, déplie, dans une forme de bréviaire, son art poétique. Les sept parties, faites de notes, d’extraits d’entretiens, de fragments dont, en ouverture, le fameux « Un métier d’ignorance » avoisinent, plutôt qu’ils ne circonscrivent, « l’objet » poésie, comme si la pratique du poème et ce qui s’y pense, s’y écrit (au cas par cas), étaient à la fois surgissements de régimes (d’occupation de la page et du langage) et simple élément prépositionnel par quoi toute relation imaginable, dans la langue qu’elle fabrique, se crée. L’oscillation, le « fourmillement » de ces petites unités dispersées, pas plus longues que quelques lignes, cherchent à définir le « bruit » que fait le poème, non sa mélodie (« le livre existe quand il a rencontré le bruit qui lui est propre »), jusqu’à sa considération « objectale » : un mot, une séquence, une phrase, sont ici comme un ensemble de briques déposées en attente du mur qu’elles bâtiront. La phrase de Marcelin Pleynet « le mur du fond est un mur de chaux » résonne particulièrement car elle permet de décontenancer le sens et la signification en leur offrant la possibilité d’une amplitude maximale. C’est la place que la poésie offre à son lecteur, telle que C. R.-J l’inscrit aussi dans son travail : littéralité des énoncés et mystique négative (sans Dieu, sans culte, sans Épiphanie) de leurs inscriptions sont conjuguées pour générer la jonction (c’est le rôle des prépositions) d’éléments disparates et épars. Le poème, le livre, in fine, exposent cet acte de liaison comme épreuve, sans jamais la définir, ni la dire : car « Toujours lire ce que l’on ne peut lire » c’est aussi être « dans le creux du langage. Jamais dans le plein ».
E.L
La Poésie entière est préposition
Claude Royet-Journoud
Éric Pesty éditeur, 96 pages, 18 €
Poésie La Poésie entière est préposition
février 2024 | Le Matricule des Anges n°250
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°250
, février 2024.