Guillaume Cayet propose une pièce poétique, politique et écologique, une saga en trois parties racontant la lutte pour le vivant. Sa pièce est une invitation à penser, rêver, invoquer, imaginer l’après, l’après de notre monde finissant. Pour l’auteur : « Le Temps des fins sera le récit de ces hommes et femmes sans monde, pris·es au piège entre un monde qui tarde à mourir et un autre qui tarde à naître. » Guillaume Cayet dit s’intéresser à « toutes ces brèches de possibles qui s’ouvrent dans notre société actuelle et qui sont refermées par l’ordre, par l’État, le plus souvent violemment (…). Ces brèches-là qui pensent déjà, à l’intérieur de notre monde vieillissant, un monde plus habitable. »
L’auteur nous plonge dans un long récit qui se déroule sur plusieurs années. La forêt, espace de toutes les transformations possibles et lieu d’imaginaire puissant, est au cœur de cette histoire. Après un prologue, un « conte de l’arbre au bois mort », une première partie s’enclenche : La Bête noire. Elle est conçue comme un monologue de Gauthier fils, « dernier représentant d’un monde en sursis ». Il fait partie d’un groupe de chasseurs. La forêt de son enfance va être rasée pour faire place à un barrage. Alors, les chasseurs ont la permission d’une dernière battue. La partie de chasse est racontée avec de nombreux détails : l’apéro au petit matin, le partage des rôles, l’affût, l’apparition de la bête, la traque des chiens, la mort puis le dépeçage du sanglier. Toute une petite humanité plutôt alcoolisée mais consciente de sa disparition proche, symbolisée par cette dernière chasse. Quand Gauthier fils part à la recherche de son chien, il tombe sur un campement entouré de pancartes annonçant : « Non au lac – nous ne défendons pas la forêt. Nous sommes la forêt qui se défend. »
Commence alors la deuxième partie : Milans noirs. Elle se déroule trois ans plus tard, la nuit où les « hommes-ferrailles », nom donné aux policiers, vont déloger par tous les moyens ceux qui se sont installés dans la forêt pour s’opposer au barrage et qui ont tous revêtu un masque d’animal. La séquence est construite en une alternance de récits de l’attaque, violente, et de flash-back dialogués entre deux femmes, Tania et Judith, retraçant l’histoire de cette communauté : tous les espaces de vie créés, toutes les inventions de langue, toutes les difficultés aussi. La stratégie des résistants, devenir forêt en mode furtif et se rendre invisibles, ne va pas résister au feu que propagent les hommes-ferrailles.
Dans la troisième partie, Gloria, le barrage a été construit depuis quinze ans. Gloria, c’est le nom d’une tempête qui doit s’abattre sur le pays. Les scientifiques prédisent qu’elle sera très violente. Les peurs s’emballent, certains évoquent une fin du monde possible. Nous allons suivre une famille habitant près du barrage : le père, la mère et la fille, un mois avant la tempête, puis une semaine avant et le jour de la tempête. On accompagne l’évolution des trois protagonistes face à la menace, le père décidant de construire un bunker dans son jardin, la mère rejoignant un groupe mystique, la fille, par le biais des réseaux sociaux, s’engageant dans un groupe de militants écologistes radicaux. L’épilogue, Un an après la tempête Gloria, est une esquisse du monde d’après, d’un monde « en cours », d’un monde à imaginer. On le voit, à chaque fois, nous sommes plongés dans un univers sous tension qui laisse peu de répit.
La compagnie que Guillaume Cayet a fondée avec Aurélia Lüscher s’appelle Le désordre des choses. Elle porte bien son nom. Pour elle, « le théâtre est l’espace du dissensus, du débat ». C’est cette tension qui est à l’œuvre dans Le Temps des fins, pour offrir une pièce combative, ouvrant de nouvelles perspectives grâce à un imaginaire entrant en résistance. Revigorant.
L.Cazaux
Le Temps des fins,
Guillaume Cayet
Éditions théatrales, 108 pages, 16 €
Théâtre Raconter les brèches
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Laurence Cazaux
Avec Le Temps des fins, Guillaume Cayet convoque l’énergie de la lutte et de l’utopie.
Un livre
Raconter les brèches
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.