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Domaine français La loi à pleins tuyaux

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Jérôme Delclos

Un curieux traité du droit de l’eau, tout ensemble monographie, pamphlet et poème. Aussi instructif que beau.

Le Cours de l’eau

Comme la terre – montagnes, déserts, ravins – l’eau sépare et divise. Son accès, sa possession et son usage font l’objet de litiges et querelles que la loi s’emploie à arbitrer. Mais les sources, les rivières, les fleuves et les océans, et même l’eau de pluie dont le naïf pourrait croire qu’elle n’intéresse pas le droit, présentent des contours mal définis ou changeants. De par sa nature mouvante, circulante, du fait même que l’eau « court » et pourquoi pas déborde ou se tarit, le juridique peine à l’enfermer dans ses textes. Le législateur doit alors inventer des catégories pour une matière qui lui résiste, quitte à emprunter son lexique à des domaines plus familiers, en apparence plus clairs pour le sens commun, mais qui ici déroutent.
Ce qui frappe d’emblée dans ce livre de Grégoire Sourice difficile à classer dans un genre – traité de l’eau et poème, pamphlet (au sens strict de Littré un « petit livre de peu de pages ») et rêverie pensive, écrit parfois dissertatif, parfois dialogué, parfois fragmenté – c’est le caractère d’étrangeté des extraits du Code civil placés en tête des chapitres. Ainsi de l’article 562, « Version en vigueur depuis le 01 juillet 2006 » : « Si un cours d’eau, en se formant un bras nouveau, coupe et embrasse le champ d’un propriétaire riverain, et en fait une île, ce propriétaire conserve la propriété de son champ, encore que l’île se soit formée dans un cours d’eau domanial ». Ou bien le 640 qui « depuis le 21 mars 1804 » régit l’écoulement des eaux, et qui « assujettit » le « propriétaire inférieur  » au « propriétaire supérieur » : le plus bas « ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement » descendu de la propriété du « plus élevé ». Au-delà de la question stricte de cette réglementation, Sourice, à dévaler la « pente métaphorique » – quasiment une allégorie – en tire une morale de « pessimisme anthropologique » : ceux qui sont en bas et condamnés au « terrain boueux » sont toujours les pauvres, et c’est vers eux que va le « ruissellement ». Celui des eaux, « de pluie » ou « des ménages », plutôt que des richesses. « Les biens, et leurs propriétaires, sont liés à d’autres biens et à d’autres propriétaires. Et ces liens sont souvent hiérarchiques, comme quand l’eau coule d’un terrain situé en haut vers le terrain d’en bas ».
L’auteur a voulu son livre très composé, mais fluide et imprévisible comme l’est son objet. À mi-livre, le chapitre qui attaque sur les droits du propriétaire d’un étang et la question de l’exploitation des poissons, se poursuit sur une chronologie en courtes notes qui recensent des procès d’animaux depuis le XIIe siècle. « 1386 – Truie condamnée par un juge de Falaise à être pendue, affublée d’un haut-de-chausses, d’une veste et de gants blancs à ses sabots, pour avoir mordu à mort un enfant ». Ou encore : « Sangsues excommuniées par l’Évêque de Lausanne pour avoir détruit des poissons ». Le chapitre suivant, consacré aux animaux domestiques, nous invite à méditer cette curiosité qu’est le statut juridique du chat. Bien qu’ils soient reconnus depuis 2015 comme « des êtres vivants doués de sensibilité », « les animaux dans la loi ne s’appartiennent pas » : le chat est un « bien meuble », comparable en ceci à l’eau, « meuble » ou mobile par distinction des « biens immeubles » que sont un moulin ou des conduites d’eau attachées à une habitation (par parenthèse, Aristote dans La Politique définissait le statut juridique de l’esclave, « outil animé » c’est-à-dire doué d’une âme, comme celui d’un bien mobilier appartenant au maître).
Certaines parties sont autobiographiques, le récit d’une maison à vider. Il y est question du tri, de rebuts à jeter ou à conserver, des « habits des personnes défuntes ». Et l’on comprend que la question de l’eau doit alors être comprise de façon plus secrète (et discrète, l’auteur parle ici à mots couverts) : ce qui dans une vie se déplace, change de lieu et de forme. « Tu tombes sur un pull remisé. Tes doigts passent dans la laine et tu as l’impression de toucher l’absente ».
Au bout du compte, un livre intrigant, que même lu et relu on continue à tourner et retourner entre ses doigts sans trop savoir comment c’est fait ni ce que c’est, qui est très beau.

Jérôme Delclos

Le Cours de l’eau,
de Grégoire Sourice
Corti, 125 pages, 17

La loi à pleins tuyaux Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
LMDA papier n°253
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