Peur sur la ville, des mois que ça dure, cette terreur. Un homme tue des femmes, seulement le dimanche… Pas plus épais qu’un missel de poche, le nouveau roman de Leslie Kaplan s’ouvre sur cette situation : des féminicides en série dans Paris. Il faudra Eva, qui « détestait les hommes, à part Kafka, son héros », Eva et son volontarisme communicatif, pour réagir, ne plus subir. Sous son impulsion, un collectif s’organise du côté de Bastille, qui accueille des femmes de tous âges et de tous horizons. On y fait connaissance, on y cogite pour tenter de débusquer le « Sunday killer », on y réfléchit, aussi, aux formes de la domination masculine. L’autrice raconte peut-être moins la traque d’un tueur pathologiquement misogyne (à travers des patrouilles dans la capitale quadrillée en secteurs), qu’elle ne raconte des histoires de femmes. Outre Eva, l’inspiratrice de ce groupe de parole et d’action, on suit Aurélie, Jacqueline, Anaïs, Stella, Louise, autant d’expériences différentes de la vie, autant de sensibilités qui se croisent, se confrontent parfois.
Cette convergence des femmes au sein d’un collectif de lutte agit comme un révélateur de ce que chacune porte en elle. Il est le lieu d’une mise en mouvement contre la passivité et d’une mise en mots de soi. S’engager ici, à ce moment-là, dans cette atmosphère délétère, dit quelque chose de la prof de philo, de l’ex-braqueuse passée par la case prison, de la fille-trop-belle sosie d’Anita Ekberg, de l’ouvrière dans une usine de biscottes, de la théâtreuse. Leslie Kaplan délie les langues sans faire étalage de thèses. Elle n’expose pas des vies comme des planches entomologiques, non, elle donne corps et voix en raboutant des bribes du passé des unes et du présent des autres. La sobriété de l’écriture, flirtant avec l’oralité souvent, sait se faire évocatrice pour dire ces vies mobilisées, décousues mais combatives. Bref, c’est un patchwork métaphorique : voilà des femmes qui ne sont plus spectatrices mais actrices de leur vie.
Anthony Dufraisse
L’Assassin du dimanche
Leslie Kaplan
P.O.L, 142 pages, 14 €
Domaine français L’Assassin du dimanche
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
L’Assassin du dimanche
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.

