Un livre

Plus loin mais où

de Béatrix Beck

Editions Chemin de fer

Qui se souvient de Béatrix Beck ? De son Léon Morin, prêtre, prix Goncourt 1952, adapté plus tard au cinéma par Jean-Pierre Melville et plus récemment par Nicolas Boukhrief (sous le titre La Confession), mettant aux prises un prêtre fervent et une jeune veuve sous l’Occupation ? Les éditions du Chemin de fer, qui entreprennent depuis plus d’une dizaine d’années de rééditer l’œuvre de cette écrivaine atypique, qui fut aussi secrétaire de Gide, viennent de publier son dernier roman, Plus loin mais où, paru en 1997, alors qu’elle avait 83 ans. « On dit que je fais peur aux gens, tant mieux comme ça ils viennent pas. » : entre cette première phrase et la dernière, « Je vais inscrire Marion à un poneyclub, c’est bon pour les traumatisés. », le lecteur en voit des vertes et des pas mûres.
Il fait d’abord connaissance avec Marceline Lantier, dite la « mère Lanturlu », vieille solitaire vivotant en lisière de forêt, à la syntaxe et à la morale boiteuses. « On est pas des animaux, quoique. » semble constituer son principal credo. Quand elle rencontre le jeune étudiant en sociologie Yann Rosengold, c’est « le Juif » selon ses mots à elle, contre la « protozoaire de la pensée », selon ses mots à lui. Tout le sel du livre tient dans le renversement de point de vue, énergique, entre ces deux spécimen d’humanité. En donnant d’abord la parole à Marceline, Béatrix Beck fait entendre la langue « normée » ou « normale », représentée par Yann, comme dissonante. Le charme de Plus loin mais où tient aussi à sa légèreté paradoxale : on semble ne jamais atteindre le fond, mais c’est toujours avec une certaine allégresse. Les dessins mal léchés de Vincent Bizien, sur lesquels s’ouvre et se referme le livre, en noir et blanc ou en couleurs, rendent bien les aspérités et l’étrangeté du petit univers portatif de l’écrivaine. À cet album aussi bref que grinçant, au titre comme suspendu, on pourrait imaginer des suites.

Chloé Brendlé

Plus loin mais où
Béatrix Beck
Les éditions du Chemin de fer, 128 p., 16 €