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Domaine étranger Angles morts

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Chloé Brendlé

Dans un recueil de nouvelles angoissantes (et parfois drôles), l’écrivaine argentine Samanta Schweblin poursuit son exploration des recoins de la psyché à partir d’un motif simple en apparence : le chez-soi.

Lire un récit de Samanta Schweblin, c’est toujours se demander comment la situation a pu déraper à ce point. Voyez plutôt : une femme s’enlise en voiture avec sa fille sur le gazon d’inconnus avant de s’incruster chez eux et de dérober le sucrier qui d’après elle, lui appartient. Ou cet incipit : « “Où sont les vêtements de tes parents ?” demande Marga. Bras croisés, elle attend ma réponse. Elle sait que je l’ignore et que j’ai besoin qu’elle me pose une autre question. De l’autre côté de la baie vitrée, mes parents courent, nus, dans le jardin qui s’étend à l’arrière de la maison. » Cela pourrait être une sorte de blague (d’ailleurs, cette nouvelle, intitulée « Mes parents et mes enfants », qui met en scène des parents plus incontrôlables que leurs petits-enfants, et après lesquels il faut courir dans le jardin, contient quelques pépites d’humour grinçant) ; c’est plutôt comme un cauchemar au ralenti.
Sept maisons vides est paru en 2015 en Argentine, et c’est le quatrième livre de Samanta Schweblin traduit en français, par Isabelle Gugnon. Dans ses romans, Toxique (2017) et Kentukis (2021), l’écrivaine s’attaquait à des problèmes contemporains : l’empoisonnement de toute une région par une eau contaminée, et l’hyperconnexion de gens reliés par des peluches « connectées ». Les sept nouvelles de Sept maisons vides sont plus atemporelles (même si le fantôme de la dictature et de ses disparus plane sur au moins une nouvelle) et rappellent son autre et excellent recueil, Des oiseaux plein la bouche (2013), qui mettait en scène des interactions parfois violentes et des situations fantastiques, comme celle de cette famille bouleversée par le comportement de son adolescente, qu’il faut du jour au lendemain nourrir exclusivement de moineaux… Point de fantastique à proprement parler dans Sept maisons vides, mais on est toujours sur le fil entre la normalité et la folie. Comme dans tous ses récits, mais plus encore ici puisque les maisons sont au centre des intrigues (à l’exception d’une nouvelle), la question du territoire est primordiale. Où passe la frontière entre chez moi et les autres, entre l’intime et l’extérieur, la réalité et le fantasme ?
À partir d’espaces concrets, immenses comme la villa de « Rien de tout cela », réduits comme dans « Quarante centimètres carrés », d’objets plus ou moins anodins comme une clé fixe ou une boîte de cacao en poudre dans « La respiration caverneuse », l’écrivaine démonte la mécanique de l’ordinaire : des gestes, des habitudes, des échanges, des dialogues intérieurs. Ce faisant, elle explore l’ambivalence des relations au sein d’un couple, entre parents et enfants, et bien sûr, entre voisins ; elle manipule des affects puissants et poisseux comme la honte, la gêne, la panique, la rancune mais aussi l’attachement. En émule de Cortázar et de Carver, elle montre bien le fonctionnement de l’anormalité quotidienne, entre petites manies et vrais délires. Certains personnages paraissent bien « malades », comme la mère égarée sur le gazon des autres ou Lola qui fait des listes et qui « voulait mourir, mais chaque matin, inévitablement, (…) se réveillait ». Mais on n’en saura pas beaucoup plus sur ces « maladies ». Façon pour l’écrivaine de jouer avec les peurs et les préjugés de ses lecteurs, et de court-circuiter les interprétations.
Samanta Schweblin nous fait imaginer le pire, comme dans « Un malchanceux », où une fillette sans petite culotte se fait amadouer par un gentil monsieur ; le pire arrive parfois, comme dans « La respiration caverneuse ». Elle nous tient par les angles morts de ses histoires. Son univers indécidable fait penser à une autre maîtresse de l’angoisse et de ses maisons, Marie NDiaye, dont le dernier roman, La Vengeance m’appartient (2020), finissait ainsi : « Car que savons-nous sur ce qui s’est passé dans cette maison et de quels chagrins, de quelles craintes et acrimonies, de quels dégoûts, de quelles rancœurs elle conserve le souvenir ? »

Chloé Brendlé



Sept maisons vides
Samanta Schweblin
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
Grasset, 176 pages, 18

Angles morts Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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