Polymorphe est l’expressivité de Clara Ysé, née en 1992. Son album au titre hugolien, Oceano nox, lui valut une nomination aux Victoires de la musique ; son roman, Mise à feu (Grasset, 2021), lui offrit le Prix littéraire de la vocation. La voici, alors qu’elle sait chanter en plusieurs langues, plus flamboyante encore, munie d’un recueil poétique, laconiquement intitulé Vivante. Sans compter qu’elle signe avec brio la photographie de couverture, une rouge jeune femme étrangement ailée. Qui répond à la lueur des métaphores : « Mon amour / Pierre insécable au fond du ventre / Translucide / Et brillante ». N’est-elle pas ainsi proche du haïku ?
Poèmes en vers libres, souvent assez brefs, ils justifient sans peine le titre : « Devenir tristesse et sortir vivante de la tristesse ». C’est une « ode à l’amitié », à l’éros également, là où résonne « Dans mon sexe la terre et toi panthère dans ma nuit ». Une force de vie est sans cesse en mouvement, non sans éblouissement, malgré les échos de la guerre et du crime : « Le monde est beau car il est chaotique ». Les accents intimes et allusifs prennent en outre une dimension cosmique : « Et nous restons là / Traversés par l’univers à grand fracas ».
« Plonge ta langue dans l’invisible », dit-elle alors qu’elle dépasse l’énergie vitale et la force des sentiments pour encourager son écriture à transmettre et transfigurer l’émotion : « J’ai goûté la poussière qu’il y avait sous ta langue / J’ai respiré la mer / J’ai allumé pour toi des milliers de bougies / Qui brûlent tout le jour dans de secrets abris ». Très lyrique, parfois pathétique, voire tragique si l’on devine l’écho de la mort de sa mère, la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, par instants élégiaque, la fibre poétique passionnée de Clara Ysé renoue avec une tradition romantique, sans pour autant dénier l’originalité à son intense voix.
Thierry Guinhut
Vivante
de Clara Ysé
Seghers, 208 pages, 17 €
Poésie Désir obstiné
juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Désir obstiné
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°254
, juin 2024.