Dominique Meens, à tout bout de chant
Son œuvre échappe à toute classification. Écrite en prose ou en vers, elle peut mêler dans un même texte le poème et l’équation mathématique, des expressions triviales, posées sur la phrase comme le nez rouge sur la face blanche du clown et des phrases enroulées joliment sur l’architecture classique de la grammaire. Elle peut se nourrir de latin et de grec, d’allemand mais aussi de russe ou de hongrois, de langues dont on ignore même si elles existent. Le ton aussi change et pas seulement d’un texte l’autre : il peut donner à la lecture des aspérités brutales, comme le saut de chaîne du vélo qu’un cycliste en plein sprint pensait conduire sur la ligne d’arrivée. Lire Dominique Meens, c’est entrer dans un univers dépourvu de mappemonde, de mode d’emploi, de repères, d’indications. On s’y perd d’abord quand dans la forêt où nous a menés une description, on débouche sur une sorte d’essai, bifurque aussitôt vers la bibliothèque des anciens, parvient à un jalon dans le quotidien de l’extrême contemporain, file illico dans le ciel à la poursuite d’un volatile qui pourrait nous mener aussi bien à la poésie russe qu’à la critique ironique des « journalisses ». Et « journalisse » soi-même, on n’était plus inquiet des questions à poser à l’écrivain qu’à l’accueil qu’il nous ferait. Pour l’avoir croisé, bien avant qu’il joue les faux insulaires charentais, on le savait généreux dans l’écoute, cordial suffisamment pour nous épargner de ses piques, mais réticent à se faire le pédagogue de son œuvre, le guide à touristes de ses pages qu’il semble connaître par cœur.
Lecteur de Debord, l’homme a retenu la leçon de La Société du spectacle : on ne le prendra pas à ficeler ses livres façon saucisson (3 pour le prix de 2, parfait pour un apéro de salon), à faire l’homme-sandwich pour la grande épicerie télévisuelle, et prêter tant soit peu le flanc au commentaire de texte pour journalistes culturels (résumer en trois cents signes ce qu’a voulu dire l’auteur, dans quel courant se situe-t-il, dégager les points d’ancrage de sa pensée). Mais l’homme est alerte, semble jouer de ce jeu qu’on lui impose, répond promptement aux questions quand bien même il ne répondrait pas exactement à celles qui lui ont été posées. Ça fuse vite, comme la vapeur d’une cocotte-minute. L’homme est passionnant dans sa façon de brasser, ici comme dans ses livres, la culture et l’esprit, le mordant et l’ironie, l’anecdote et la pensée, les livres qu’il a lus et qu’on lira peut-être, pour aller y voir. Car oui, Dominique Meens est une sorte de guide qui ne montre rien pour nous donner l’impérieuse nécessité d’aller voir soi-même.
Dominique Meens, quand on découvre en 1995 Ornithologie du promeneur, on a le sentiment que le livre est comme la partie immergée de tout un continent. Que ce qu’on lit vient de loin, de très profond. Que des strates, non visibles, en composent les fondations. La Noue dérivée (1989), votre premier livre empruntait plus franchement la forme du...