Documents relatifs à l’édition pirate du Traité du style de Louis Aragon par Gérard Berréby
Dans les années 1970 de l’après-68, le faux, la parodie, le plagiat, faisaient partie du jeu contestataire. On connaît le goût, certes potache mais subversif et générateur d’imprévus, des situationnistes pour le canular, hérité des lettristes et des surréalistes. Documents relatifs à l’édition pirate du Traité du style de Louis Aragon par Gérard Berréby, quant à lui, a l’allure vintage des plaquettes des « situs » : sa maquette, sa typo, la police de type « pica », son titre en clin d’œil aux Documents relatifs à la fondation de l’Internationale Situationniste qu’une fois devenu un éditeur installé Berréby a publiés. Même la couverture grise fait signe vers ces publications, et le orange vif du rabat vers la déco des seventies. Et c’est déjà l’humour de l’objet que de se présenter, au-delà de cette affaire agitée d’édition pirate, comme un « ensemble de documents » mimant l’agit-prop, conformément à l’attachement de Berréby au slogan de Marshall McLuhan « The medium is the message ».
Le message ? La forme compte autant que le contenu. L’entretien entre Gérard Berréby et Aurélie Noury, la riche iconographie, les témoignages de libraires et de l’éditeur Jean-Claude Zylberstein qui était alors encore avocat, la postface de Nathalie Leleu, plus ceci, à l’imitation des ouvrages anonymes de l’ « I.S. » ou de L’Encyclopédie des Nuisances, qu’aucun nom d’auteur ne figure sur la couverture : tout ce dispositif de documents est « relatif à la fondation »… d’Allia par Gérard Berréby dont le premier livre mais en amateur fut en 1979 son Traité du style « pirate » d’Aragon, contrefaçon à s’y tromper de l’original chez Gallimard qui ne l’avait pas réédité depuis 1928, suivant en cela la volonté de l’auteur qui avait rompu avec le surréalisme. Encore le faux de Berréby est-il plutôt un « faux faux » qu’un « vrai faux » : la 4e de couverture est différente. Berréby retrace cette aventure dans un livre archi-composé sous ses airs fatrassiers, au prix modique de 13 € et tiré à un petit 500 exemplaires, qui devrait vite être recherché comme l’est aujourd’hui le premier, commis par le jeune homme comme une blague de potache sur laquelle il peut à présent revenir : « il y a prescription ».
Mais s’il avait parfois déjà abordé le sujet, le « pirate » aura beaucoup traîné avant de rendre publique l’affaire dans ses détails. C’est que, pour détourner la formule bien connue de Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus, « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Ou comme le dit Berréby : « Quand on commet un acte répréhensible, on se doit d’adopter une relative prudence pour ne pas se jeter dans la gueule du loup ! » Des libraires qui avaient accepté de prendre le livre au faussaire ont été inquiétés, comme en témoigne la reproduction d’un document à l’époque présenté à l’un d’eux par voie d’huissier, la « Requête à fin de saisie-contrefaçon à l’encontre de la librairie Plasma par le Tribunal de Grande Instance de Paris, 21 février 1980 ». Au bout du compte, la librairie a « seulement été condamnée à verser un franc symbolique ». Le contrefacteur, lui, doit à sa discrétion de ne pas avoir été identifié par Gallimard.
L’intérêt du livre, loin de se limiter au récit des péripéties de cette publication depuis l’idée de départ jusqu’à la médiatisation du scandale et ses conséquences (dont la réédition précipitée du Traité du style par Gallimard), réside avant tout dans l’entretien. Exemples à l’appui, les questions relatives à la propriété intellectuelle, au pouvoir excessif des ayants droit (veuves féroces et âpres au gain), aux aberrations du copyright, sont troublantes. Ainsi quand Gérard Berréby, qui participe à une émission sur Radio France, se voit intimer de ne pas se citer lui-même ultérieurement, au motif qu’il y a un copyright sur l’émission. « C’est pourtant bien moi qui m’exprime ou je me trompe ? (…) jusqu’à nouvel ordre, je n’ai signé aucun papier dérogatoire cédant les droits du contenu original de mes réflexions. »
À présent reconnu, l’éditeur ne se souvient pas sans nostalgie de ses premiers et fracassants débuts : « Je regrette de ne plus pouvoir publier de livres pirates maintenant que je suis un éditeur institué ».
Jérôme Delclos
Documents relatifs à l’édition pirate
du Traité du style de Louis Aragon
par Gérard Berréby
Incertain sens, 145 pages, 13 €