C’est un type ordinaire qui a toujours l’air d’être dans « le coaltar ». Un peu gris, un peu chiffonné – fatigué. Son chef le houspille sans cesse. Lui, il bougonne et n’en fait qu’à sa tête. Quand il est vraiment préoccupé, il parle tout seul à voix haute. Il a aussi les intestins capricieux, parfois, en plein boum, il doit se réfugier fissa aux petits coins. Il maudit sa ville, Bologne, il maudit l’Italie et la terre entière, la corruption et tutti quanti mais ça ne change rien. « Parfois, Sarti raisonne comme un vrai beauf » écrit Loriano Macchiavelli, qui, coquin ou… un brin machiavélique (!), s’amuse à en rajouter et c’est sa marque de fabrique. L’écrivain italien intervient dans la narration, houspille son personnage, l’apostrophe, le malmène et ce depuis cinquante ans et quelques dizaines de romans.
Les Jours de la peur, publié en 1974 en Italie, est le premier roman de Loriano Macchiavelli mettant en scène son personnage fétiche, le sergent Sarti Antonio. Un demi-siècle plus tard, toujours bon pied bon œil, il prouve que le roman noir excelle à raconter le monde « La violence, la pègre et la politicaillerie d’un pays qui n’a honte de rien. »
Les éditions du Chemin de fer sont tombées en amour avec Macchiavelli au point de créer une collection de romans noirs. Ce roman noir, celui qui s’empare de la politique, fouille la société, la met à nu, la critique, ose poser des questions. Trois autres romans également traduits par l’excellent Laurent Lombard avaient trouvé place chez Métailié*, puis, plus rien. Revoilà donc l’antihéros, l’homme patraque, le solitaire, le mal aimé, dans une Italie tourmentée, déchirée, celle des « années de plomb ». Sarti se débat dans Bologne dite la rouge en raison de son ancrage jadis communiste, mais aussi ville théâtre d’affrontements gauche/droite, ensanglantée par de nombreux attentats dont le plus célèbre perpétré par les fascistes en 1980, à la gare, bilan : 85 morts. Le flic au grand cœur se rend malade de voir sa ville sombrer. Il s’échine, s’arc-boute, on aurait pu écrire résiste. Alors que le centre de transmission de l’armée saute en pleine nuit faisant quatre morts, Sarti croise pour son enquête tout un monde interlope, celui des malfrats, des journalistes menteurs, des bras cassés, des filles de joie, et même des révolutionnaires. Il consulte Rosas, l’intello de gauche forcément en taule, qui, à coup de Lénine et de Maïakovski, l’aide à réfléchir. L’humour et la tendresse habillent les aventures de Sarti et font de Bologne un personnage à part entière comme quelques années plus tard le sera la Marseille de Fabio Montale, double de Jean-Claude Izzo.
Dans une courte préface, Loriano Macchiavelli, 90 ans, souhaite bon vent à son compagnon qui va rejoindre en France les personnages de Jean-Claude et Jean-Patrick (Manchette) : « Ne sois pas plouc. Leurs personnages ne sont pas meilleurs que toi et tu ne vaux pas moins qu’eux. Ils ont juste eu la chance d’être nés en France et toi la malchance d’être né en Italie. Et qui plus est, comble de la poisse, à Bologne. » Avanti !
Martine Laval
* Chez Métailié : Derrière le paravent ; Bologne ville à vendre ; Les Souterrains de Bologne
Les Jours de la peur
de Loriano Machiavelli
Traduit de l’italien par Laurent Lombard
Le Chemin de fer, 188 pages, 19 €
Domaine étranger Bologne, mio amore
juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254
| par
Martine Laval
Le Chemin de fer crée une nouvelle collection de romans noirs. Où l’on retrouve le truculent italien Loriano Macchiavelli et son personnage fétiche, le sergent Sarti Antonio.
Un livre
Bologne, mio amore
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°254
, juin 2024.