La vieillesse est un naufrage, paraît-il. Elle produit toute sorte d’effets et celui que Jean-Louis Bailly a décidé d’explorer dans ce roman drôle et mélancolique n’est pas le moins saugrenu : le narrateur, Ambroise Matthieu, a oublié son nom. Ainsi, alors que c’est lui qu’on appelle dans la salle d’attente avant un IRM, il ne se reconnaît nullement dans ce nom. C’est le début d’une aventure loufoque et parfois vexante pour ce paisible retraité ayant connu son heure de gloire comme journaliste dont la plume exaltée convertissait les matchs de rugby en épopée : « J’avais un truc : avant de rédiger un papier, je lisais une ou deux pages des sermons de Bossuet. L’aigle de Meaux me hissait au sommet, son sermon m’insufflait la période, le souffle, le ternaire, le tonnerre. J’apprenais l’art d’installer dans une phrase un calme trompeur pour le briser net à la faveur d’une action éclatante. Et quand le match ennuie, c’est un art aussi d’en tirer le tableau navrant de la désolation et de la morne plaine. Oui, la morne plaine : si Bossuet renonce, tenter Hugo ».
Lui dont la mémoire est par ailleurs impeccable (ne sait-il pas réciter sans faillir les 850 mots de la phrase la plus longue de La Recherche ?) se retrouve fort démuni quand la bise est venue : que faire, privé de cette chose aussi intime que publique qu’est un nom ? Dissimuler ce handicap, pour commencer, ce qui est moins facile que ça n’en a l’air. Les réactions de sa femme ou de ses amis ne sont pas toujours celles escomptées. Mais tout changera peut-être lors d’un voyage en ballon, point culminant de cette odyssée miniature.
Guillaume Contré
Le Détachement
de Jean-Louis Bailly
L’Arbre vengeur, 140 pages, 16 €
Domaine français Le Détachement
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°255
, juillet 2024.