La Seconde Guerre mondiale et ses lendemains sont présents tout au long de l’œuvre de Jean Meckert, aussi bien dans les romans qu’il signe de son nom que dans les romans noirs signés Amila, parus à la Série noire. Il s’intéresse moins aux hauts faits qu’à la puissance de révélation de la guerre, révélation de la noirceur des comportements humains ; à cet égard, la Résistance – rappelons qu’il a lui-même pris le maquis en Champagne – ne représente pas plus une heure glorieuse que la Bataille de France ou l’Occupation. De La Marche au canon (2005), sans doute rédigé, sous une première forme, durant sa captivité en Suisse en 1940 et 1941, à son dernier roman, Au balcon d’Hisroshima (1985), il saisit la guerre et le combat selon une perspective antihéroïque. Dans La Marche au canon, il contribue à une vision défaitiste de la Bataille de France. La « drôle de guerre » procure à son personnage un sentiment d’ennui et d’inutilité, prélude à l’effondrement moral que la Collaboration va amplifier. Deux ans après le film de Ken Annakin, Le Jour le plus long, La Lune d’Omaha s’ouvre sur le Débarquement en Normandie, loin de toute geste héroïque. Il épouse le point de vue de Hutchins, jeune soldat américain pétrifié par la violence du combat, qui survit en désertant. Le glorieux D-Day du film de Annakin est sous la plume d’Amila un massacre dont on ne sort pas « héros ».
Jean Meckert/Amila montre l’horreur des héros officiels qui meurent dans leur lit tandis que leurs « larbins » embrassent une violence qu’on leur reproche ensuite, lorsqu’ils l’utilisent à leur propre compte. Il porte un regard sans concession sur l’effondrement moral que représente tout conflit armé, et sur les abjections de la société qui se reconstruit ensuite, à grand renfort de compromis et de reniements. Dans Nous avons les mains rouges (1947), Jean Meckert s’attache à l’épuration, loin du roman national alors en train de s’écrire. Comme dans la novélisation du film d’André Cayatte, Nous sommes tous des assassins, parue en 1952, il met en scène le « dernier écœurement », la tragédie sans gloire de ces hommes dévorés par un instinct de mort. Laurent dans Nous avons les mains rouges et René dans Nous sommes tous des assassins, « enfants de la misère » comme le dit l’avocat de René, ne parviennent pas à s’adapter à l’après-guerre et sont trahis par ceux-là mêmes qui en ont fait les exécuteurs des basses œuvres durant l’Occupation « larbin[s] des héros ».
Tel Augustin dans La Marche au canon, chaque personnage aux prises avec la guerre ou l’Occupation peut dire : « je revendiquais ma part de pauvre héros, dans ce conflit où je n’avais rien vu, rien compris, et où je m’étais seulement mis là où l’on m’avait dit. »
Natacha Levet
* Dernier livre publié : Le Roman noir. Une histoire française (PUF,...
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Jean Meckert
De guerre lasse
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
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