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Poches Du côté des bêtes

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Jérôme Delclos

Jean-Christophe Bailly se met à l’école des animaux, ces « maîtres silencieux ». Un fascinant traité du monde.

Deux rééditions de Jean-Christophe Bailly, Le Versant animal (2007) et Le Parti pris des animaux (2013), trouvent leur place à côté de L’Ouvert, de l’homme et de l’animal de Giorgio Agamben (Rivages, 2002) et de L’Animal que donc je suis de Jacques Derrida (Galilée, 2006) : à rebours de la tradition des Modernes qui dénie à l’animal la pensée, la sensibilité voire la douleur, et d’un anthropomorphisme tout aussi aveugle aux singularités foncières des bêtes, une tendance récente leur restitue un statut, et tente un accès à l’énigme que constitue pour nous leur être au monde. Ou leurs « formes de vie » comme dirait Wittgenstein, qui nous sont aussi hermétiques qu’une huître et la vie qui est la sienne, sauf à aller y voir comme le fait Ponge dans Le Parti pris des choses. Bailly se revendique du poète pour son titre Le Parti pris des animaux : dans un monde où s’aggrave et s’accélère « la destruction de toute possibilité d’expérience », le vivant – ou mieux, le « vif » – réclame un regard neuf comme celui qu’adresse Ponge à l’orange, le cageot ou l’éponge.
Il y faut d’abord s’étonner. « Au commencement de toute considération sur les animaux, il y a ou il devrait y avoir la surprise, la surprise qu’ils existent. » Et dire pourquoi pas, comme le faisait Wilamowitz pour caractériser l’omniprésence du divin chez les Grecs, « Les dieux sont là ». Soit « ce qui se dérobe, se refuse ». Au reste, Bailly dans les deux livres recourt souvent aux Anciens, Héraclite, Xénophon, Ovide, et surtout Plotin, incessamment ruminé : « Toute vie est une pensée, mais une pensée plus ou moins obscure, comme la vie elle-même ». Ce caractère obscur de la vie, Bailly le traque, sur les pas de l’ouvrage inachevé de Merleau-Ponty Le Visible et l’Invisible, dans les passages du Parti pris des animaux, plus ardu et conceptuel que Le Versant animal, qui interrogent le sens du « caché » dans la sentence d’Héraclite Phusis kripthestai philei, « Nature aime à se cacher ». « Le visible est le caché », propose Bailly dans un beau paradoxe. « Vivre, en effet, c’est pour chaque animal traverser le visible en s’y cachant : des animaux, la plupart du temps, on ne voit qu’un sillage et l’espace de nos rencontres avec eux, lorsqu’ils sont sauvages, est toujours celui de la surprise et de la déception. » Mais aussi, de façon plus troublante, parce que tout le visible est pour nous en permanence et de façon constitutive adossé à l’invisible. Exemplairement, qui donne sa superbe couverture au Versant animal – une photo du chasseur américain repenti George Shiras – le chevreuil dans sa fuite nocturne, « frayeur et beauté, grâce frémissante, légèreté » : une scène primitive pour Bailly qui lors d’une nuit où il se rendait en voiture chez un ami, resta « retourné, saisi » et « ému jusqu’aux larmes » par l’épiphanie d’un chevreuil dans la lueur des phares. Soudain, « c’était la pensée qu’il n’y a pas de règne, ni de l’homme ni de la bête, mais seulement des passages, des souverainetés furtives, des occasions, des fuites, des rencontres ».
On comprend alors à quel point la méditation de Bailly emporte avec elle la totalité d’une réflexion sur le monde, ou plutôt sur les mondes tant les animaux « sont là, nombreux, variés, infiniment variés, sur la terre, dans les eaux, dans les airs, avec nous et hors de nous ». Leur monde, « nous ne le connaissons pas (…) mais nous sommes constamment frôlés ». Nous ne comprenons pas leurs « langues infinies », mais nous sentons, dixit Novalis, que « l’univers aussi parle », que tout dans les animaux en fait des « maîtres silencieux ». Parfois, il y a une rencontre, comme en témoignent quelques penseurs, écrivains, peintres ou poètes. Ainsi Rilke : « Ou bien il arrive qu’un animal, muet, lève les yeux, nous traversant de son calme regard ». Mais que voyons-nous là ? Et qu’est-ce donc, de l’autre côté de nous, qui nous regarde ? Qu’est-ce qui s’échange, dans cette intensité ? Nous l’ignorons, mais notre sentiment est fort qu’il existe, là-bas, si près et si loin de nous sur un autre « versant », d’autres mondes, et très habités. Deux essais fondateurs, à lire résolument ensemble.

Jérôme Delclos

Jean-Christophe Bailly
Le Parti pris des animaux
Bourgois, 148 pages, 7,80
Le Versant animal
Bayard, 162 pages, 17

Du côté des bêtes Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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