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Poésie La paix, mots à maux

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Dominique Aussenac

Les poètes Olivia Elias et Michaël Glück croisent leurs voix afin de partager leur douleur devant l’horreur à Gaza et la dénoncer avec colère et humanité.

Comment dire l’innommable ? Comment évoquer la barbarie ? Comment réagir au choc des images ? Par des mots ? Des poèmes ? Olivia Elias est née à Haïfa en 1944. Elle a connu la Nakba (la « catastrophe », de 1947 à 1949, près de 800 000 Palestiniens furent chassés de leur terre par les forces israéliennes). A vécu jusqu’à l’âge de 16 ans au Liban, puis au Canada où elle étudia l’économie et enseigna. Elle réside aujourd’hui à Arles. Depuis 2015, ses poèmes sont traduits en plusieurs langues, notamment aux États-Unis. « les mots sont trop pauvres/ mais n’ai qu’eux/ ma seule richesse/ mes mains sont vides et si grandes les souffrances. »
Michaël Glück est né à Paris en 1946 et vit à Montpellier. Après la guerre des Six Jours, en juin 1967, il a promis à sa mère, qui avait perdu ses parents à Auschwitz, de ne pas se rendre en Israël tant que les droits des Palestiniens ne seraient pas reconnus. Son travail d’écriture se love autour du sacrifice d’Abraham, de l’idée d’un mal ontologique. « La poésie n’a pas à rendre tolérable ou admissible ce qui est intolérable, inadmissible. »
Les éditeurs de L’Amourier, Bernadette Griot et Jean Princivalle, les ont réunis le temps d’un livre dont le titre porte les points de suspension des textes que Michaël Glück publia sur Facebook après les attaques du 7 octobre. Contre l’abattement et l’impuissance, il voulait ainsi écrire dans l’idée « D’une suspension dans le cercle infini de la haine. Une suspension. Dans le cercle infini des représailles. »
Aucune autre ponctuation, hormis ces points, chez les deux auteurs aux styles très différents. Une langue aux mots puissants, colériques, ramassés pour Olivia Elias qui traduit en miroir ce qu’elle voit sur les écrans. La nuit noire sans électricité, pointillée de petites fleurs rouges, d’explosions, de destructions, de cris de sorcières folles. « ni eau ni nourriture ni carburant & électricité ni acacia flamboyant ni grues en partance seulement déluge phosphorique ». Une langue laconique ? Elle valide le terme : « Une écriture en temps de guerre. Sidérée par ce qui se passait, j’avais la volonté de partager la réalité. Au fur et à mesure, il y a plus de distanciation qui s’installe. On peut le voir entre les premiers poèmes et les derniers. C’est pour ça que c’était très difficile au début. Même les poèmes qui sont publiés là, ont été nettoyés parce qu’il y avait énormément de répétitions. On aurait dit que je ne pouvais que répéter les mêmes choses. Les bombes, la destruction qui a été si rapide, si effrayante dans le Gaza Nord au début, en deux semaines. En deux semaines, il y a eu autant d’enfants tués à Gaza que pendant quatre ans dans toutes les zones de conflit dans le monde. »
Les mots de Michaël Glück sont liés par un flot, prennent un recul océanique, historique, métaphysique. Il se fait peintre. « On peint des paysages de langues tourmentées, hantées par des cris. » Voudrait soigner avec des mots qui lui échappent et ne peuvent hélas contredire la réalité. « …je commence une phrase dans l’espoir de retrouver je ne sais qu’elle phrase perdue ou rêvée, je sais qu’il était question de la violence du monde, de l’ignominie de l’histoire, de l’horreur absolu du présent… » Olivia Elias documente l’horreur. « Ici/ à mains nues/ les hommes cherchent dans les décombres s’il reste des survivants/ & retirent de petits corps ». Détourne le mot ghetto qui consignait les juifs dans un quartier réservé, l’associe à Gaza. « au-dessus du Ghetto en flammes dansent/ frénétiquement les déesses de la Vengeance & de la conquête ». S’en prend frontalement à « l’État Occupant surarmé » qui « tel le boa constrictor enroulé autour de nos vies a serré serré » tandis que Michaël Gluck, lui, engangue douleur, rage, impuissance dans des phrases, construit autour, comme s’il les étayait d’un halo protecteur, de mots talismans. « La richesse du livre, elle est née de là. De l’écart entre la vision d’Olivia, politico-journalistique. Elle enregistre des événements. Elle dit sa rage et sa violence dans une écriture hachée, beaucoup plus terrifiante par moments d’ailleurs. Moi, j’essaye de me protéger et de protéger mes contemporains de cette violence et de ne pas rentrer dans l’engrenage de la violence. L’énonçant, je la dénonce, mais en même temps j’essaye que la phrase m’apaise malgré tout. »
Tous deux ne se leurrent pas. Ils sont à l’abri. Témoins ? Scribes de l’horreur ? Ils utilisent leur plume comme Homère l’a fait pour Troie, Primo Levi aussi. Ils dénoncent la lâcheté des États qui ont aidé à créer Israël et qui donnent l’impression aujourd’hui de s’en laver les mains. Tous deux doutent, souffrent, mais ne désespèrent pas. Olivia Elias termine son texte par ces mots : « Il est temps de faire silence, honorer ceux en allés, reconstituer mes forces. Un jour, nous serons. » Porteurs d’un espoir flou, fou ? « Il y a ceux qui se résignent et qui veulent une vie normale et ceux qui ne se résignent pas. Est-ce qu’ils ont le choix ? Le choix de la dépression ou le choix de l’espoir ? Moi, je fais le choix de l’espoir. Et je crois d’ailleurs, je crois qu’il y a des rêves, des rêves de liberté, d’émancipation, on ne peut pas les tuer. Ça fait partie de l’être humain. L’homme n’est pas né pour être domestiqué. Et on ne peut pas domestiquer son esprit. On ne peut pas tuer le désir de liberté qui est en un être humain. »
Quant à Michaël Glück, il convoque, lui, à une véritable éducation à la paix dès les plus jeunes âges et ce dans le monde entier. « La Paix suppose une mise à distance, de dire, allez, on se pose. Voilà, c’est compliqué, mais il y a quelque chose de la suspension de nos gestes meurtriers dans l’écriture du poème. » Il rappelle que sa mère n’a jamais confondu Allemands et nazis, qu’il ne faut pas faire de même entre Palestiniens et Hamas. Quant aux juifs, « même si certains s’arrogent la parole au nom de tous, ce n’est pas vrai. Il y a une diversité de points de vue. Il y a aujourd’hui aussi sur le terrain là-bas, et ici même en France, des tentatives de coexistence, de coréflexion, de cocréation entre les juifs et les antisionistes juifs et palestiniens. Il y a des mouvements qui ne partagent pas du tout cette espèce de position de domination. D’abord, une poésie qui domine, je ne sais pas ce que ça veut dire, ce n’est pas une poésie pour moi. » Et Olivia Elias de rajouter : « C’est pas seulement une attaque contre les gens de Gaza, c’est pas une attaque contre moi en tant que Palestinienne, c’est une attaque contre moi en tant qu’être humain dont la vie est précieuse comme celle de tous les êtres humains. C’est une attaque contre toute l’humanité. » Du poids des mots face à la désespérance.

Dominique Aussenac

Point de suspension
d’Olivia Elias et Michaël Glück
L’Amourier, 80 pages, 8,50

La paix, mots à maux Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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