On a entendu parler de Ça joue à la radio par l’auteur de L’Ordinaire de la littérature (La Fabrique) comme d’un livre de poésie drôle, contenant une lettre à la CAF (et, ajoute-t-on après lecture, un « #metooURSSAF »).
Ça joue commence par une liste de souvenirs d’enfance ou plutôt de souvenirs d’apprentissages d’enfance, et ça vrille quand « tu » découvre, mortifié, que non, le chien n’est pas le contraire du chat. Vertige linguistique, existentiel, et politique. À partir de là, Antoine Hummel alterne des sortes de micro-récits de vie, comme des précipités autobiographiques et générationnels, et des analyses plus ou moins abstraites sur la logique qui sous-tend le langage, appris, incorporé. Dans ce récit de soi dynamité, on ne sera pas surpris que le « je » n’apparaisse qu’au sixième chapitre. D’emblée, « je » est un autre, de la catégorie « Monsieur » (à la fin du livre, « je » sera même un balai !). Au fondement de l’expérience, Antoine Hummel ne place pas le sujet (le je pense cartésien), mais le « ça joue » : depuis la cour de récré jusqu’au club des « des autonomes à SIRET », on s’inscrit dans le « game », variante néo-libérale du « vous êtes embarqué » de Pascal. Morceau choisi : « Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux choral :/ J’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale./ Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur./ Nous les expulserons avec humanité et cœur./ Et voilà le problème. Nous avons grandi sous Chirac et nous avons l’âme romantique (…) » (Qu’écrira-t-on dans vingt ans ?…)
Il s’agit de passer l’époque à la découpe, de faire entendre le bruit de fond intérieur et extérieur. Respirer l’air ambiant et recracher : les déclarations, les slogans, les ça joue, on gère, quand on veut on peut, le lexique enkysté, les blocs du « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture », et « mon pass culture », la prétention « monsieuse ». Il s’agit aussi de remonter le temps – et la pente de la confession dite romantique, avec Rousseau, bien sûr, mais d’autres aussi, comme Dumont de Monteux (Antoine Hummel, un peu comme Olivier Cadiot, a un certain don pour résumer / représenter les pensées des autres, et « imager » des abstractions, ainsi de ce fameux Dumont, à qui « une crampe au mollet survient mais dans le cerveau », tandis que « des idées incohérentes s’invitent, discutent entre elles dans la tête, sans égard pour le maître du logis »).
Sous-titré « fanfare confessionnelle », le livre d’Antoine Hummel, paru presque en même temps qu’un autre de lui, Le Club (Zoème), a bien un aspect critique et parodique, parfois jubilatoire. Mais garde-t-il quelque chose de la joie collective et carnavalesque de la fanfare ? En somme, un « à nous de jouer » ? Il y a bien un « frisson communautaire » qui passe, et des pronoms « nous » qui se rejoignent parfois (notamment dans une cohorte de « loosers »). Mais à cet égard, Ça joue, même et souvent drôle, ne semble pas très optimiste. On peut toujours rêver.
Chloé Brendlé
Ça joue
d’Antoine Hummel
La Tempête, 200 pages, 18 €
Poésie Je, kit ou double
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Chloé Brendlé
Ça joue relate l’épopée subjective d’un poète qui a grandi dans les années 1990. Avec réflexivité et auto-dérision, Antoine Hummel déconstruit le récit de soi.
Un livre
Je, kit ou double
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°255
, juillet 2024.