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En grande surface Un Goncourt blanc

novembre 2024 | Le Matricule des Anges n°258 | par Pierre Mondot

On soumet à la libraire une série de noms repérés dans la sélection initiale du Goncourt. Sandrine ? Je l’adore, une fille vraiment chouette. Et Norek, ça va, sympa. Mais Carole Martinez, géniale : là, tu vois, c’est l’histoire d’enfants qui dans toute la planète sont visités par le même rêve et se réveillent en criant, mais en fait ce rêve collectif c’est une manifestation de la Nature pour avertir l’humanité que… Trois bouquins, c’est beaucoup. Contentons-nous de la fille chouette et du mec sympa. On les retrouve dans Paris Match pour un entretien croisé que le journaliste justifie – en plus de leur statut de lauréats potentiels – par des trajectoires littéraires parallèles : chacun a débuté par le roman noir avant d’opérer « un glissement vers la littérature blanche ». Très blanche même, en l’occurrence, puisqu’un épais tapis de neige recouvre ces deux récits. Dans Les Guerriers de l’hiver, Norek nous fait revivre le conflit qui opposa la Finlande à l’Union soviétique au seuil de la Seconde Guerre mondiale. Sur le front de Kollaa, au nord-est d’Helsinki, il arrive que le mercure descende jusqu’à moins quarante et qui s’y endort meurt. Madelaine avant l’aube offre des températures à peine plus clémentes : l’héroïne éponyme « découvre parfois des animaux qui ont gelé tout droit et qui se tiennent raides dans la campagne blanche (…) ». Et si par hasard, ces cadavres sont des chats, on les dévore : « Dans la soupe, personne ne fait la différence. » Précisons que l’action du roman se situe dans un lointain un peu vague, mais quelque part dans la nuit féodale puisqu’on y croise le mobilier de l’époque : seigneur, serfs, arbalètes ou four banal. La géographie reste tout aussi sommaire : les personnages (un pauvre bûcheron, un sabotier, deux sœurs, une gentille sorcière) habitent le Pays Arrière, « langue de terre coupée des autres par le fleuve », dans un « ensemble de trois maisons qu’on appelle Les Montées ». Nul besoin d’être formaliste russe pour reconnaître dans ce cadre les caractéristiques du conte de fées. Collette en reprend explicitement les archétypes afin de les traiter d’une manière réaliste, en y insufflant la cruauté et la violence du polar. Soit la vie quotidienne du Petit Chaperon rouge avant sa rencontre avec Patrick Bateman. Un univers a priori à l’opposé du roman historique entrepris par Norek. Mais pas tant, en fait. D’abord parce que la Finlande reste le pays officiel du Père Noël (Rovaniemi, 96930). Mais surtout parce que le personnage principal est un lutin tireur d’élite, Simo Häyhä. Un mètre cinquante-deux. Si l’auteur parsème son récit d’expressions finnoises pour garantir la couleur locale, il oublie cependant de préciser comment s’articulent les deux trémas du héros : ricanement satisfait ou nain de Blanche-Neige de retour du boulot, on hésite. Les Russes l’ont baptisé « Belaya smert », la mort blanche, car il agit dissimulé sous un drap qui le confond avec la neige.
Chacun a connu au collège un camarade qui consacrait son temps libre à l’assemblage de maquettes d’avions de chasse. Cet adolescent a grandi et, après une brève carrière dans le maintien de l’ordre, produit aujourd’hui pour Michel Lafon des récits efficaces, sans la moindre trace de colle aux jointures. De la littérature à grand spectacle avec vraoum, tchacatchac, crânes qui explosent et corps qui s’effondrent au ralenti. Et une légère coloration western : avec son fusil, Simo est capable d’exécuter ses adversaires à deux cents mètres de distance. Pan. Norek explique dans Match que ses écrits sont des alibis pour « traquer l’insondable ». La lecture des Guerriers de l’hiver soulève pourtant peu de questions. Malgré le chaos de la guerre, l’univers reste bien rangé : les filles sont à l’infirmerie et les garçons au front ; les Russes se montrent couards et mal organisés tandis que les Finlandais résistent avec courage et fierté. Pas de place dans les troupes pour un Fabrice ou un Bardamu. La prose de l’ancien capitaine de police ressemble aux étés scandinaves : le soleil ne s’y couche jamais. Ce qui marque une différence avec sa collègue : alors que la guerre nous semble chez Norek racontée par un drone, Collette suit le parcours de ses croquants au ras du sol, en confiant la narration de son livre à un chien. Et là où Olivier s’attarde sur les marques de mitrailleuses ou les modèles de chars d’assaut, Sandrine, elle, observe la Nature (faune et flore) et célèbre l’état sauvage. L’un dégage une odeur de poudre et l’autre, de térébenthine.
Les jurés du Goncourt ont écarté le gars sympa de leur dernière sélection. La chouette fille reste en lice. Mais pour le prix, la libraire dit que c’est joué, c’est Daoud avec ses Houris qui l’aura. Elle se trompe rarement.

Pierre Mondot

Un Goncourt blanc Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°258 , novembre 2024.
LMDA papier n°258
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°258
4,50