L’essai classique de Bergson, Le Rire, paru en 1900, paraissait avoir tout envisagé sur le sujet. Pourtant en 1955, le jeune René Girard (1923-2015) commit un travail qu’il laissa dormir dans ses cartons. Cet inédit du concepteur de la théorie mimétique n’est pas, l’on s’en doute, une facétie humoristique.
Entre « la chatouille » et « le point de vue du sacré », entre l’ironie solitaire et la rigolade collective, tout un monde étale sa palette, qui va du puéril risible au sérieux le plus sommital. La recherche de René Girard brasse large, de Molière à Charlie Chaplin, envisageant avec justesse le rire comme une liberté. Si « la comédie est un chatouillement intellectuel », le miracle du rieur casse la prétention de qui veut voir du sens et de la vérité partout. Ainsi l’auteur du Tartuffe est subversif, tans son rire « est anticartésien, parce qu’il montre la fausseté des prétentions du cogito de Descartes ». La maladresse et le ridicule font florès, lorsque le naïf qui s’esclaffe comprend l’inanité du spectacle social, mais ces justes causes du rire s’opposent à ce rieur qui prétendrait « expulser hors du monde l’objet qu’il est incapable de comprendre ». Mieux vaut alors le « sourire lumineux » qui est connaissance et reconnaissance. Reste qu’« un grand écrivain comique n’évite pas les sujets chatouilleux ni n’esquive les problèmes épineux »…
Écrit aux États-Unis à l’époque du maccarthysme, cet essai revigorant et cultivé sans cuistrerie prétend que le comique est plus « nerveux » que léger, en tout cas risqué, ce qui n’est pas sans entretenir une adéquation avec notre époque où l’on peut rire de tout sauf de ce qui fâche les grincheux et les coincés du bulbe.
Thierry Guinhut
Naïveté du rire, de René Girard
Grasset, 180 pages, 18 €
Essais Naïveté du rire
mars 2025 | Le Matricule des Anges n°261
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°261
, mars 2025.

