Soutenue par Claude Mauriac et Alain Bosquet, admirée par Marguerite Duras et plus tardivement par Jean Dubuffet, considérée comme une des voix les plus originales du paysage romanesque français des années 1960, Hélène Bessette a publié treize romans chez Gallimard de 1953 à 1973, avant que tous ses manuscrits soient systématiquement refusés, faisant d’elle, selon les mots de Queneau, « un écrivain maudit ». Une œuvre d’une modernité radicale (« de la littérature de pointe » d’après l’intéressée – Lili pleure, son premier roman, paraît avec un bandeau sur lequel figure l’exclamation « Enfin du nouveau ! »), constituée pour l’essentiel de romans poétiques et expérimentaux, qui connut ensuite une éclipse d’une trentaine d’années, puisqu’il fallut attendre six ans après sa disparition fin 2000 pour la voir réapparaître en librairie avec Le Bonheur de la nuit publié par Laure Limongi. Cette première résurrection (sept volumes parus chez Léo Scheer) fut bientôt suivie par la biographie de Julien Doussinault en 2008, puis par la décision de Benoît Virot en 2017 de publier ses œuvres complètes sous l’enseigne du Nouvel Attila.
Le colloque de Cerisy qui lui était consacré en août 2018 pour le centenaire de sa naissance marquait donc « un nouveau seuil dans la reconnaissance de cette figure littéraire singulière ». L’occasion était ainsi donnée aux intervenants d’évoquer aussi bien l’œuvre de cet écrivain à part que la vie de cette « Hélène Bessette de chez Gallimard », comme elle se désignait elle-même, qui fut tour à tour femme de pasteur en Nouvelle-Calédonie, puis institutrice, puis femme de ménage – avant de devenir LNB7 pour la postérité. Présenté comme « les actes de l’impertinence » ou encore comme un « embarquement pour l’étrange », cet épais volume (en lequel se trouvent associées des approches littéraires, psychanalytiques et philosophiques) explore les romans poétiques bessettiens, qui rendent poreuse la frontière entre la prose et la poésie, et que plusieurs intervenants conseillent de lire à haute voix, « comme ceux de Gertrude Stein et de James Joyce ». Bessette cherche d’ailleurs « une phrase qui doit être lancinante et douloureuse. Voisine du jazz. Qui retient l’attention. Cruelle peut-être », écrit-elle dans un texte-manifeste (Le Résumé).
Ce que l’on retiendra peut-être le plus, c’est, comme le note Claudine Hunault, la capacité de Bessette à rester fidèle à elle-même, « quels que soient les revers qu’elle essuie au quotidien. (…) Du côté de l’écriture, ça ne flanche pas, jamais. Chaque manuscrit, chaque tapuscrit le confirme. »
Initialement publié en 1964, Si est un roman qui se laisse difficilement empoigner, comme la plupart des romans de Bessette (l’autrice disait elle-même de Si qu’il est « de construction classique et de style para-poétique et steinien »). On y découvre Désira, une femme seule, condamnée à cause du savoir-faire d’un médecin à s’infliger vingt ans de vie supplémentaires dont elle ne sait pas quoi faire. Autour d’elle, on lui conseille de prendre un compagnon, d’aller au cinéma, de voir des films légers de préférence, de boire un peu d’alcool, et de faire du nudisme si l’occasion se présente, alors que de son côté elle se demande surtout « Si oui ou non la vie vaut d’être vécue » et s’il est temps pour elle d’aller « rejoindre la littérature sous l’herbe » (elle l’a constaté depuis quelque temps : « La réalité et moi-même n’étions pas faits pour nous entendre. »).
À l’instar des autres personnages féminins dans l’œuvre de Bessette, Désira est énigmatique, insaisissable, et d’une lucidité impitoyable (sur elle, sur le monde qui l’entoure en général, et sur les hommes en particulier, à commencer par ceux qui se montrent trop entreprenants : « Sans perdre de temps il monte à cent à l’heure le long de mes jambes. / Après une escale rapide au genou dont il détermine la forme. / Les miens sont ronds. »).
LNB7 est donc bel et bien de retour parmi nous, installée à la place qui lui revient, ce dont il faut bien sûr se réjouir, d’autant que, comme l’écrivait Claro dans la postface de la précédente édition de Si : « On ne s’habitue pas à Bessette. » On a beau être prévenu, beau savoir ce qu’il en est, chacun de ses livres est toujours une découverte.
Didier Garcia
Hélène Bessette : L’attentat poétique,
Othello, 576 pages, 25 €
Si, de Hélène Bessette,
Othello, 208 pages, 18 €
Domaine français LNB7, défense et illustration
juin 2025 | Le Matricule des Anges n°264
| par
Didier Garcia
Retour à la lumière pour Hélène Bessette (1918-2000), avec la parution simultanée de son roman Si et des actes du colloque de Cerisy.
Des livres
LNB7, défense et illustration
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°264
, juin 2025.


