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Histoire littéraire Prémices et promesses

juin 2025 | Le Matricule des Anges n°264 | par Thierry Cecille

Mireille Calle-Gruber nous offre l’occasion de (re)découvrir les premiers romans de Claude Simon, double et troublante expérience de lecture.

Le Tricheur (suivi de) Corde raide

En 1951 Jérôme Lindon, jeune directeur des Éditions de Minuit depuis 1948, rachète à Léon Pierre-Quint Le Sagittaire. Dans le catalogue figurent les deux premiers romans, passés quelque peu inaperçus, de Claude Simon. Durant l’Occupation, les éditions du Sagittaire, à cause des lois anti-juives, sont confisquées par les Allemands : Le Tricheur, terminé en avril 1941, ne sera publié qu’en décembre 1945. La Corde raide, écrit aux abords de la Libération, est publié au printemps 1947. Jérôme Lindon, au moment où il constitue le mouvement que l’on appellera Nouveau Roman, les publie donc à son tour. Mais Claude Simon refusera, par la suite, qu’ils soient réédités. Mireille Calle-Gruber, maîtresse d’œuvre de cette initiative – elle a travaillé avec Simon à l’entreprise d’Œuvres complètes qui n’ont pas vu le jour – précise d’emblée : « Redécouvrir ces livres un temps écartés ne veut pas dire passer sous silence leur mise à l’écart ». L’œuvre de Simon, il le rappela lui-même à maintes reprises, fut toujours un work in progress, une « œuvre à venir » en constante gestation – et l’on assiste ici, en quelque sorte à une double naissance.
Le Tricheur ne manque pas de surprendre : si l’on a affaire, d’emblée, à un entremêlement – inutilement ? – complexe des voix narratives qui annonce la construction des romans ultérieurs, ce sont les personnages et l’intrigue même qui déconcertent. Un couple en fuite – Louis et Belle – erre dans une campagne indéterminée puis s’installe à Paris : leurs dialogues familiers et parfois répétitifs, leurs soucis mesquins et leurs démêlés amoureux font d’eux des antihéros semblables à ceux que l’on rencontre dans bien des pages de Jean Meckert ou d’Emmanuel Bove. Les passages les plus réussis constituent comme des puzzles de sensations, de choses vues et de souvenirs emmêlés dans le flux de la conscience, expérience souvent douloureuse : « Je continue ma route, moi aussi remâcheur de cadavres, remâcheur de passé que je dispute au rêve ». Mais les scènes passées que se remémore Belle – père défait, famille provinciale écartelée – sont un peu confuses et répétitives. Enfin le personnage – et narrateur – principal nous apparaît surtout comme un insupportable bavard – ç’aurait pu être le titre du roman ! – misanthrope se livrant parfois à de peu vraisemblables diatribes métaphysico-philosophico-esthétiques. Claude Simon avoue qu’il y a là « un ton d’assurance et de provocation qui tient aux circonstances (…) et à l’âge ».
Nous avouerons, en revanche, notre préférence et notre admiration pour La Corde raide. Dès l’abord, la description, par un narrateur unique cette fois, d’un acacia fait signe vers un des romans majeurs de Simon, puis nous trouvons un tramway dans une « ville du midi de la France », puis il se souvient d’avoir fait de la « contrebande d’armes » pour aider les Républicains espagnols. Se succèdent ensuite de fort longues et superbes phrases qui nous projettent avec lui, à cheval, sur les sentiers de la Débâcle, où la mort rôde. Les motifs et leitmotivs se succèdent, s’entrelacent habilement et font la richesse de ces pages, pareilles à ce type de mosaïques que les Romains appelaient opus incertum  : ouvrage incertain, en construction fragile mais réussie, ici, de bout en bout. Le narrateur – comme celui du Tricheur et comme l’auteur – voulut, dans sa prime jeunesse, devenir peintre et il nous offre alors, à propos de Cézanne, des formules qui peuvent apparaître comme des mots d’ordre que Simon lui-même se fixe et auxquels il ne cessera d’obéir. Il s’agit de percevoir puis peindre « dans sa totale magnificence, sans commentaires ni restrictions, le monde visible, et, à travers lui, le monde tout court », il faut tenter d’atteindre « une connaissance substantielle, dans le même moment désenchantée et éblouie ».

Thierry Cecille

Le Tricheur et La Corde raide, de Claude Simon
Éditions de Minuit, 453 pages, 23

Prémices et promesses Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°264 , juin 2025.
LMDA papier n°264
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LMDA PDF n°264
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