Adrien Genoudet, au cœur des ténèbres
C’était pour nous une évidence. Celui qui avait écrit Le Champ des cris, paru à la rentrée 2022 aux éditions du Seuil était un écrivain de la trempe de ceux qui travaillent la langue. Pas si nombreux. La page « du même auteur » ne signalait que deux ouvrages signés Adrien Genoudet : L’Étreinte, paru en 2017 chez Inculte et un essai, L’Effervescence des images. Albert Kahn et la disparition du monde que Les Impressions nouvelles avaient sorti deux ans plus tôt. Pour cette rentrée littéraire 2025, paraît Nancy-Saïgon qui suit de quelques mois l’éclatant essai/récit Enfant vu de dos aux éditions Sun/sun (cf. Lmda N°265) : une œuvre se dessine déjà, portée par une langue exigeante et une pensée incarnée qu’irrigue, sensiblement, une forme de colère. Tignasse brune coiffée au pétard anar, barbe façon herbes folles, regard clair, silhouette élancée, on avait croisé le jeune homme dans la chaleur de la Comédie du livre de Montpellier au seuil d’un été incendiaire. Juste le temps d’échanger quelques mots, un livre (Enfant vu de dos), quelques bières (à défaut de vins nature qu’il apprécie) et une forme de timidité partagée. L’homme affiche pourtant un CV qui ferait ouvrir à d’autres une bouche plus grande qu’un porte-voix. Est-ce d’avoir si souvent entendu son père lui dire « Adrien s’écrit sans H pour te rappeler de rester humble » ou l’inquiétude d’être nulle part légitime, toujours est-il qu’Adrien Genoudet porte à son interlocuteur une attention bienveillante mâtinée de beaucoup de modestie.
L’homme est né le 10 février 1988 à Essey-lès-Nancy, « la ville où Robert Hossein est mort », précise-t-il avec malice. Un frère l’a précédé de peu, un autre de peu le suivra.
Le père vient d’une famille très modeste. Le grand-père était maçon et logé dans la Fosse aux lions, sorte de bidonville situé sur la commune de Tomblaine non loin. « J’espère pouvoir écrire sur La Fosse aux lions un jour » et sur cette famille lorraine et alsacienne de « gens à tout faire ».
Du côté maternel, la famille est originaire du Sancerrois et de Nevers ; ce sont d’abord des agriculteurs. Le grand-père, Bernard Frémion, dont la figure a inspiré le personnage d’Onésime dans Le Champ des cris puis celle de Paul Sanzach dans Nancy-Saïgon aura une grande importance pour le futur écrivain. Jeune résistant sous l’Occupation, il va diriger son propre maquis puis, à la Libération, s’engager dans l’armée française. Il sera des guerres d’Indochine puis d’Algérie et finira sa carrière militaire du côté de Nancy avec le grade de colonel et la distinction de commandeur de la Légion d’honneur. La famille s’installe donc sur les hauteurs d’Essey-lès-Nancy et c’est ainsi que la fille du colonel va rencontrer le fils du maçon…
« Ma mère n’a pas fait d’études, ni bac, ni brevet. Elle est devenue esthéticienne. Mon père a pas mal galéré, n’a pas fait d’études non plus, il avait un côté blouson noir, il fréquentait beaucoup les bars et il a rencontré ma mère. Elle voulait...

