Adrien Genoudet, au cœur des ténèbres
C’est avec beaucoup d’application que l’écrivain a répondu à nos questions, comme s’il y voyait un terrain de fouilles archéologiques susceptible de lui révéler l’origine et la nature de sa propre écriture. Mais peut-être est-ce ainsi que l’œuvre est née : des interrogations incessantes que son regard sur le monde fait naître.
Adrien Genoudet, Nancy-Saïgon s’inscrit dans la lignée du précédent roman, Le Champ des cris, et n’est pas sans rapport non plus avec votre récit Enfant vu de dos qui, lui, découle de votre essai L’Effervescence des images. Ces livres sont-ils le fruit chacun d’un projet singulier, autonome, ou font-ils partie, dès leur conception, d’un grand tout, d’un projet qui les englobe tous ?
Oui, d’une certaine manière. Mais je commence seulement maintenant à comprendre ce qui se noue entre eux. Il y a une sorte de passage de relais que je découvre peu à peu, en travaillant en amont du texte, et en l’écrivant ensuite. Le Champ des cris et Nancy-Saïgon découlent d’un même projet d’écriture. En 2014, mon grand-père m’a légué toutes ses archives. C’était la seule et unique ligne qui me concernait dans son testament : ses cartons d’archives. J’ai été très proche de lui pendant des années. Il a incarné le noir et blanc des vieux films, de l’Histoire, des archives, d’un monde qu’on recevait après-coup, une génération plus tard, pour ceux qui sont nés, comme moi, à la fin des années 1980. Il avait été un résistant acharné, un maquisard reconnu, il avait tué, aidé, sauvé des gens ; puis il avait pris goût à l’uniforme alors il est devenu militaire de carrière. Ce qui l’a amené à se battre en Indochine puis en Algérie. À mener les guerres de décolonisations – à se battre contre la résistance des autres.
Sa maison débordait de tous ses souvenirs. Marcher dans le couloir de sa maison de Nancy, c’était traverser Nevers en ruine, les rues de Saïgon et les déserts d’Algérie. Mais quelque chose clochait. Et au moment de sa mort, des secrets familiaux ont explosé. L’été de sa mort, ma tante m’a dit, très simplement, sans solennité, rien, elle m’a juste dit : « ton grand-père n’était pas l’homme que tu imagines. »
Alors j’ai traîné. J’ai attendu. J’ai écrit ma thèse sur les Archives de la Planète d’Albert Kahn – qui deviendra L’Effervescence des images. J’ai écrit L’Étreinte, sur les attentats du 13-Novembre, qui était peut-être une façon de m’approcher de l’Histoire en cours, de la force d’un événement, de sa violence. Je suis parti réaliser un film au Cambodge pour suivre le sculpteur et dessinateur, Séra, qui avait survécu au génocide khmer rouge. J’ai suivi d’autres archives. Et d’autres violences.
Puis j’ai ouvert les cartons d’archives de mon grand-père. Et à partir de ce jour-là, j’ai commencé à élaborer un projet d’écriture qui devait me prendre une dizaine d’années : faire un livre qui partirait de son enfance, qui suivrait la période de Résistance, puis celle de l’Indochine, puis celle de...

