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Domaine étranger Le veilleur masqué

décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6 | par Philippe Savary

En 1804 paraissaient en Allemagne Les Veilles, d’un anonyme, Bonaventura. Une chasse aux monstres, érudite et fantasque, pour insomniaques.

Je n’ai pas rechigné à multiplier les masques, car plus il y a de masques entassés l’un sur l’autre, plus on rit à les retirer à la suite, jusqu’à l’avant-dernier, le satirique, l’hippocratique, et enfin jusqu’au dernier, rigidifié, qui ne rit ni ne pleure plus -le crâne sans mèche ni touffe- celui que porte l’acteur tragi-comique quand il quitte la scène. »
Celui qui parle ou plutôt qui a écrit cette tirade est poète. Il vient de se pendre avec la ficelle servant à ligoter le manuscrit que l’éditeur lui a retourné. Celui qui découvre les deux drames est le narrateur : veilleur de nuit par nécessité, gardien des ténèbres par conviction. « Boiteux et sans charme », il déambule la nuit dans la ville avec sa pique et sa corne le long des rues spectrales, cherchant des réponses à ses soliloques dans l’obscurité du théâtre, du cimetière ou de l’asile. Voyeur donc, mais surtout démiurge, diable, fou, Dieu à la fois, sorte de cicérone invisible qui rit de tout, parodie la crédulité des uns pour dénoncer la mascarade des autres. Bref, une histoire de faux oracles affublés d’un nez rouge qui manie le grotesque avec délectation.
Depuis 1804, date de leur parution, Les Veilles, polygone à 16 facettes qui déclinent en autant de récits les méditations moqueuses de cet hérétique noctambule, restent la paternité d’un auteur non identifié, au nom fantoche, Bonaventura, à l’œuvre unique, dont certains, derrière ce pseudonyme verront se cacher, sans que la vérité soit établie, la signature des plus grands romantiques allemands. Hoffmann, Schelling, Arnim, Brentano, Schlegel, Jean Paul : la rumeur a cherché longtemps à lever l’anonymat de ce franc-tireur qui se nourrit de mysticisme et de nihilisme pour saper avec un humour noir féroce les fondements du courant littéraire dominant de la fin du XVIIIe siècle. Car que nous révèle donc ce Bonaventura, prince du dévoiement et du sampling ? Que la nuit, les monstres se réveillent, et que le monde n’est qu’une pantomine désordonnée, une réalité boursoufflée.
Raconter Les Veilles (préfacées richement par Pierre Péju) n’est pas chose facile. Ce livre est un vaste jeu de miroirs où la profusion fantasque de l’imagination du narrateur, son érudition, ses bribes autobiographiques, ses rencontres insolites brouillent tout repère, et renvoie le lecteur aux portes de la confusion, seule lumière finalement régénératrice pour l’auteur.
Son récit, jubilatoire, traque le tragique, mélange les temps, perce les ballons de baudruche, épaissit la dérision à travers les nuages de la magie noire. Dans la dixième veille, au cloître des Ursulines, une nonne devenue mère sera enterrée vivante par des vierges effarouchées. Plus loin, dans un cimetière (« mon lieu favori, ce théâtre de faubourg, où la mort tient la régie et fait jouer en épilogue des farces poétiques »), il réconciliera un misanthrope avec la vie en lui prodigant pour calmer ses pulsions suicidaires l’art de la bonne table. Grotesque ! Le jeune homme, acteur, répétait une simple scène où il devait se poignarder.
Enfermé pour son plus grand plaisir dans un asile d’aliénés pour crimes commis contre l’Etat et l’Eglise (« la folie étant le seul système qui se tienne » au point de vouloir « construire une universelle maison de fous »), le veilleur de nuit finira pas être expulsé de l’asile pour avoir « tenté de perpétuer l’espèce » avec une démente qu’il prenait pour Ophélie ! Fermez le rideau.
Avec ces Veilles, les nuits, sans éclaircir les jours, paraissent encore plus noires. Au petit matin, sûr, vous aurez la gueule de bois ! Mais diable que ces nuits sont belles !

Les Veilles
Bonaventura

traduit de l’allemand
par Nicole Taubes
José Corti
339 pages, 110 FF

Le veilleur masqué Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°6 , décembre 1994.