Dessinateur de presse à Paris, Pavlos, le narrateur, retourne à Athènes sans raison apparente. Perplexe, désœuvré, il observe la ville, ce qui se passe autour de lui. Il laisse son attention s’arrêter sur une question a priori sans conséquence : pourquoi une lettre isolée, l’epsilon, ornait-elle l’entrée du temple d’Apollon où officiait la Pythie de Delphes ? Pavlos se prend au jeu de cette énigme improbable. Il mène une enquête déambulatoire qui l’entraîne dans les rues d’Athènes, aux terrasses des cafés, dans les bibliothèques, chez son frère en province, à Delphes, mais avant tout dans sa langue maternelle qu’il avait oubliée.
Il se la réapproprie en racontant les aléas de ses recherches, et en notant dans un carnet des mots qui commencent tous par epsilon. Ces mots, quarante au total, s’apparentent à des cartes postales, parce qu’ils illustrent le périple inattendu de Pavlos à travers la Grèce, les paysages qu’il traverse, ses rencontres et ses souvenirs. Comme le dit l’un des personnages rencontrés, un archéologue aveugle, ces mots composent « un portrait ». Non celui de Pavlos, mais celui d’une absence. L’absence d’une femme, d’une mère surtout, morte quelque temps auparavant (comme celle de Vassilis Alexakis), que la mémoire du narrateur fait revivre en plusieurs petites scènes très émouvantes. On le voit : l’enquête sur l’E de Delphes n’est pas anodine. Elle prend même, peu à peu, une dimension existentielle. L’énorme talent d’Alexakis est de toujours rester léger, avec son phrasé reconnaissable, souple et resserré, quels que soient les sentiments qu’il exprime. Il alterne la mélancolie et l’ironie, la gravité et la drôlerie : l’émotion affleure juste avant un sourire. Si « la littérature est un ogre insatiable qui a besoin d’une grande variété de mets, de nourritures consistantes mais aussi d’olives, de radis, de raisins secs », alors La Langue maternelle est un formidable marché aux mots et aux bonheurs d’expression qui nourrit son lecteur d’un plaisir intense et continu.
La Langue maternelle - Vassilis Alexakis Fayard, 400 pages, 120 FF
Domaine français Portrait d’une absente
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Christophe Kantcheff
Un livre
Portrait d’une absente
Par
Christophe Kantcheff
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.