Sept ans après la parution du premier volet des œuvres complètes du Montévidéen Jules Laforgue, un nouveau tome propose les écrits qu’il a rédigés entre 1884 et 1887, date de sa mort.
Fastes quoique fatales, ces quatre années voient paraître les fameuses Complaintes (cf. Tome I : 1860-1883) et des recueils de poésie où s’affirment une musique personnelle, une tonalité vivante. « Je vague depuis le matin,/ En proie à des loisirs coupables,/ Épiant quelque grand destin/ Dans l’œil de mes douces semblables ». Le Concile féérique, l’Imitation de Notre-Dame de la Lune, Des fleurs de bonne volonté et les Derniers vers montrent le caractère souvent primesautier du poète, son aptitude aux associations les plus saugrenues qui font de Laforgue un de nos plus grands auteurs et le chantre enjoué, parfois désabusé, de la ville moderne.
Plutôt restreinte aujourd’hui, son audience a été laminée par de trop brillants successeurs (Rimbaud, Mallarmé) aux côtés desquels ses facéties passaient pour de la légèreté et ses inventions pour des gamineries. D’ailleurs lorsqu’il opte pour le vers libre -il fut parmi les premiers avec Jean Moréas, Gustave Kahn et Marie Krysinska-, Laforgue fait mine de désinvolture : « J’oublie de rimer, j’oublie le nombre des syllabes, j’oublie la distribution des strophes, mes vers commencent à la marge comme de la prose. » Il est vers-libriste et se passe des commentaires : « Noire bise, averse glapissante,/ Et fleuve noir, et maisons closes,/ Et quartiers sinistres comme des Morgues ».
En 1886, l’année de son mariage avec l’Anglaise Leah Lee, Laforgue conçoit ses Moralités légendaires après avoir croisé le spectre d’Hamlet en Allemagne où il occupe le poste de lecteur de l’impératrice Augusta. Montées sur des canevas mythiques, ses nouvelles donnent la synthèse de ses talents : fantaisiste, il use d’ironie en immergeant les légendes (Salomé, Lohengrin ou Pan) dans la vie quotidienne et scrute douloureusement dans l’âme et les visions d’une mystique malade. C’est le filigrane du romantisme sous une couche de sourire.
Pour faire bonne mesure, l’épais tome II offre encore les articles (les « Chroniques parisiennes » publiées dans La Revue indépendante d’Edouard Dujardin), lettres, écrits intimes et dessins du poète qui meurt de phtisie à l’âge de vingt-sept ans. En attendant le dernier volume de ses œuvres complètes, on peut pousser la chansonnette (« L’un chante ton-taine/ Aux forêts prochaines,/ Et l’autre ton-ton /Aux échos des monts. ») ou lire le Journal inédit de Léon Bloy qui paraît dans la même collection Caryatides, une sorte de Pléiade des auteurs fin-de-siècle.
Éric Dussert
Œuvres complètes (tome II)
Jules Laforgue
L’Âge d’homme
1083 pages, 350 FF
Poésie Pierrot fumiste
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Éric Dussert
Un livre
Pierrot fumiste
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.