Le lecteur est un être consciencieux. Souvent même trop consciencieux. Ainsi, comme pour prouver qu’il respecte bien l’auteur, comme pour montrer que la lecture est aussi affaire d’éthique, il commence invariablement sa lecture à la première page pour finir avec la dernière.
Dans ce recueil poétique de Claude Minière (né en 1938), après avoir observé les belles illustrations de Jan Voss, le lecteur découvrira ce vers inaugural : « Je trouve le temps long de la mer entière ». Il croira aussitôt avoir affaire à quelques poèmes consacrés à la mer, adressés à une mystérieuse interlocutrice dont il n’est dit que « ma chère ». Influencé par certaines assonances (« Il dit d’abord deux camps puis une foule, qui passent la/ligne s’épaississant, s’éclaircissant, comprenant des vides/blancs aveuglants »), peut-être pensera-t-il lire un album de souvenirs, ou quelque histoire amoureuse vécue non loin de la mer : « Le bord de la mer est cette conversation avec votre/robe qui glisse ». Sans doute alors sera-t-il supris de rencontrer, ici, une surprenante citation de Cummings laissée en capitales : « JE VOUDRAIS TE BAISER TOUTE. » Et le lecteur de rester bien perplexe devant la complexité de l’ensemble.
Évidemment, rien de tout cela ne lui arriverait s’il se permettait de commencer par la fin, précisément par la Postface pour un jeune poète. Claude Minière y avoue par exemple que La Théorie des ensembles est la réédition partielle et sélective de L’Application des lectrices aux champs, publié au Seuil en 1968, à une époque où il est un devoir de mettre la poésie au travail, où le poème se prend à parler de la poésie, et où la poésie et la réflexion sur le poétique s’énoncent volontiers dans les mêmes textes. Mais il y explique surtout que celle que le lecteur avait prise pour une amante ressuscitée n’est autre que la poésie et que ce volume s’avère le prodrome de son œuvre poétique à venir.
Donc de ces textes que l’on aime à dire essentiels.
La Théorie des ensembles
Claude Minière
Carte Blanche (5, rue du Montcel,
95 430 Auvers-sur-Oise)
30 pages, 50 FF
Poésie La poésie à coeur ouvert
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Didier Garcia
Un livre
La poésie à coeur ouvert
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.