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Intemporels Le faiseur de notes

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Didier Garcia

Fragments de lettres, poèmes, aphorismes, bribes de journal, portraits, notes, réflexions Georges Perros ou l’art de mélanger les papiers.

Papiers collés 1

J’ai, ou plutôt on a publié deux livres sous mon nom qui n’ont eu aucun retentissement susceptible de perturber ce qu’il faut bien appeler ma vie. Je comprends l’embarras de la gloire. » Vraie modestie ou coquetterie d’auteur ? On imagine mal Georges Perros s’acoquiner avec la gloire, lui qui fut l’apôtre de l’humilité. Une humilité dont il faudrait s’inspirer pour présenter sa vie. Il faudrait tout d’abord un titre modeste qui fasse de son activité un travail à la fois artisanal et anodin, quelque chose comme : Georges Perros, faiseur de notes, puis quelques mots, ainsi qu’il le fit lui-même pour parler de Claudel. Gentillesse, générosité, sensualité, bonhomie. A fui Paris. Écrivait dans son bureau, volets clos, derrière un paravent ; sur du papier cartonné, glacé, lisse, pour ne faire aucun bruit ; surtout pour bavarder, « à la franquette », parler de sa femme, de ses enfants, un peu de lui, beaucoup des autres. Il faudrait enfin ajouter quelques dates : 1923 et 1978 pour sa naissance et sa mort à Paris ; 1963, 1973 et 1974 pour les trois prix qu’il reçut (on pourrait croire qu’il les ignorait) : prix Max Jacob pour Poèmes bleus, prix Valery Larbaud pour Papiers collés II et le prix Bretagne pour l’ensemble de son œuvre. Cela suffirait amplement : sans doute eût-il jugé inconvenant qu’on osât s’apesantir sur sa vie.
Donc les textes, à défaut de l’homme. Et pour commencer, le plus réussi d’entre tous, celui qui en fait un théoricien malgré lui, Notes pour une préface, texte liminaire qui ouvre les trois volumes de Papiers collés (publiés en 1960, 1973 et 1978). Dans ce texte qui pourrait bien s’avérer être le plaidoyer le plus achevé en faveur de l’écriture fragmentaire (il a fait école, c’est dire sa qualité), Georges Perros y dépose sa manière, non pour l’exhiber, mais, par une sorte d’honnêteté scrupuleuse, comme pour ne pas abuser le lecteur, ne pas le tromper sur la marchandise : « Moi, si jamais je vais au-delà de cinq pages, sans rupture de rythme, sans distraction tranchant le fil, c’est que je me serai endormi sur le papier. » Pour Perros, le livre demeure prétentieux et vain : « Penser qu’on a quelque chose à dire, c’est pire que se masturber, plaisir triste, petite mort. » Aux développements narcissiques, aux longs épanchements inutiles, il préfère donc la note, la notation brève, sèche, tranchante, parfois brute, qu’il consigne sur des « bouts de papier, souvent hygiéniques, tickets de métro, boîtes d’allumettes, pages de livre ». Et s’il lui faut se choisir une famille -modestement, il se contente de la suggérer-, ce sera celle des aphoristes, d’Héraclite à Arnim, en passant par Diogène, Socrate, Vinci, Joubert, Blake, Lichtenberg, Novalis, et le Kafka du Journal ou des Lettres.
L’énigme que posent les trois volumes de Papiers collés, sans avoir à la formuler, concerne la lecture, une énigme à laquelle il convient de sacrifier le désir et l’empressement de découvrir le texte. Perros le répète volontiers, il n’entend pas réaliser un livre : « Mon rêve -très réalisable- ce serait d’écrire ce qui me vient sur de petites carntes, comme de visite, en m’interdisant d’en utiliser plus d’une par occasion de penser. Je les jetterais dans une caisse, et tous les cinquante ans, je ferais le tri. Je les numéroterais. » Une fois posée cette évidence, capitale, que les Papiers collés forment un livre malgré eux, avec la contribution de la compilation et du posthume (le troisième volume parut quelques mois après sa mort), surgit alors le vrai problème : comment lire Perros ?
S’il s’agit de se conformer à l’ordonnance qu’il délivre lui-même, il faut à la fois se trouver « dans un train » et être « un voyageur qui s’ennuie ». À ces conditions secondaires qui exclueraient bon nombre de lecteurs, préférons des règles plus strictes. Perros ne peut être lu que lentement. À peine quelques pages par jour (la posologie garde ici un caractère impérieux). Patiemment, en se permettant de relire plusieurs fois le même fragment, pour en saisir la complexité et la simplicité. Amoureusement, comme pour mieux s’imprégner de cette tendresse qui s’offre dans ces pages où les confidences paraissent chuchotées. Donc à petites doses, à petites gorgées. En gourmet qui prend le temps de s’arrêter sur telle saveur, de s’étonner de tel mariage. Et surtout, en s’interdisant une lecture linéaire, en ne respectant aucun ordre, aucune logique, en s’en remettant au hasard. Ne pas lire Perros, mais le picorer. La rencontre n’en sera que plus étonnante.
À moins qu’il ne soit tout simplement question de découvrir le meilleur de Perros. Il y aurait alors quelques sections à ne pas manquer, par lesquelles il conviendrait même de commencer pour se familiariser avec cette écriture sans chiquet. Pour ce qui est de la littérature, il serait opportun de visiter ses Portraits et ses Lectures où l’on découvre un style qui sent parfois son Vialatte : « Il faut s’y faire. Les meilleurs auteurs écrivent les meilleurs livres. On n’y peut rien. Eux non plus. », ou encore « Rien n’est banal dans ce roman un peu long, comme presque tous, bons ou mauvais ». Pour le reste, c’est-à-dire la note, le quotidien, la vie, la rue, le théâtre, la mer, la mort, l’anthologie s’avère plus nourrie. Parmi les textes décisifs : Bretagne (il vécut à Douarnenez où il n’a pu, « à partir d’un certain âge, considérer la mer que comme la présence mouvante, ici-bas, de la mort »), Lettre sur une lacune (dans laquelle il reconnaît n’avoir pas lu Guerre et Paix), Feuilles mortes, journal d’une cinquantaine de pages qui court, trop vite, vraiment trop vite, de 1946 à 1975 (« Tous les jours, quelques chose d’intéressant. Ce peut-être d’hier, ou d’il y a vingt ans. Ce peut être ce qu’on pensera demain, qui fait signe aujourd’hui. Un journal, ce devrait être ça. »). Et surtout Projets d’avenir, où il décrit le cimetière de ses rêves : « Ce serait, ce sera peut-être une colline coiffée d’arbres chantants. J’aimerais être en pente, histoire de glisser un peu par temps humide, sur laquelle quatre hauts murs interdiraient aux vivants toute indiscrétion » ; « On y mènerait, secrètement, une mort de bohème pour l’éternité, sans plus s’en soucier, enfin ! »
Ce ne sont là évidemment que des indications, le mieux étant encore de faire de ces Papiers collés un livre de chevet, qui serait pour certains une présence amie, pour d’autres comme un discret encouragement à l’écriture. Pour ces derniers, qui souhaitent peut-être se soustraire à l’hégémonie du roman, lire Perros aura quelque chose de salvateur, sinon de roboratif : ils découvriront qu’il est possible d’écrire comme on ferait la causette dans la rue, avec n’importe qui, à propos de n’importe quoi. Une seule règle à respecter : « Il faut écrire pendant que c’est chaud. »

Papiers collés I, II, III
Georges Perros

Gallimard
216 pages, 44 FF
440 pages, 59 FF, 336 pages 55 FF

Le faiseur de notes Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.
LMDA papier n°18
6,50