Quelle différence y a-t-il entre « Algérie : la routine de l’horreur », Une de Libération cet été et La vie, là-bas, comme le cours de l’oued, le nouveau livre de Dominique Sigaud ? La poésie et l’engagement personnel.
À l’automne 1995, de retour de son quatrième voyage en Algérie depuis 1988 -clandestin, avec « un visa bidon pour éviter de se retrouver comme mes collègues avec des flics au cul toute la journée » -, Dominique Sigaud, journaliste-reporter, se retrouve véritablement confrontée au problème du témoignage. Comment dire le drame algérien quand il n’est pas possible de s’impliquer soi-même ; quand surtout, au retour d’un tel voyage, on n’est plus la même ? La réponse, Dominique Sigaud l’a trouvée dans une période intense et brève d’écriture, pendant laquelle elle a couché sur le papier le récit « romancé » de sa propre expérience. Un mois durant lequel il lui a semblé revivre une deuxième fois son séjour. Le titre de son récit, c’est un Algérien « en sursis » rencontré sur place qui le lui a suggéré par ces mots retranscrits dans son livre : « La vie désormais ressemble au cours de l’oued (…) Tout semble calme, mais le fleuve déborde en un instant et emporte tout. »
Avec L’Hypothèse du désert (Gallimard), son premier roman publié en 1996, Dominique Sigaud avait séduit l’ensemble de la critique par son aptitude à traduire dans une langue limpide et déjà très personnelle, l’incompréhension des hommes face à l’absurdité de la guerre. Avec La vie, là-bas…, elle s’est essayée à un récit plus personnel, dont la narration fragmentée restitue de manière peut-être plus intense, la sensibilité et l’esprit qui étaient déjà perceptibles dans le premier roman de cette jeune écrivain. Rencontre.
Dominique Sigaud, après La Fracture algérienne, un essai sur l’Algérie contemporaine édité en 1991 chez Calmann-Lévy, vous publiez un récit, La vie, là-bas, comme le cours de l’oued, sur le même sujet. Pourquoi avoir préféré cette fois l’écriture littéraire ?Il s’agissait d’abord pour moi comme la fois précédente, de faire le récit d’un reportage. Mais sur le choix du récit, il y a plusieurs raisons. J’avais envie de toucher des lecteurs qui ne seraient pas des gens qui vont acheter un essai sur l’Algérie. Toucher d’autres gens. Et puis, l’écriture littéraire me permet aujourd’hui de dire beaucoup plus de choses et autrement. L’écriture journalistique maintient, qu’on le veuille ou non, dans un cadre, un carcan plus serré que l’écriture littéraire. Et vu ce que j’avais à dire, qui devait aller relativement loin dans l’expression d’une atmosphère, d’une ambiance, de sentiments et de ce que j’avais à dire sur les êtres humains et sur moi-même, qui est une matière plus humaine que le reportage, l’écriture littéraire me donnait plus de liberté, me permettait de chercher une forme plus intéressante.
La genèse de votre récit, n’est-ce pas cette impossibilité de dire l’horreur du conflit algérien et en particulier celle liée à un album...
Entretiens « Ecrire pour dire autrement »
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Marie-Laure Picot
Un auteur
Un livre