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Poésie Les Sens de la marche

novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21 | par Benoît Broyart

Boue confirme, s’il en était encore besoin, la singularité et la force de la voix d’Antoine Émaz. Un écorché vif parle.

Toisième recueil d’Antoine Émaz publié par François-Marie Deyrolle (après C’est en 1992 et Entre en 1995), Boue s’oppose à une poésie contemporaine parfois trop expérimentale et difficile à déchiffrer. Car ce qui séduit d’abord, dans la voix d’Émaz, c’est sa lisibilité, sa transparence : « On va, tente d’aller. Difficile de trancher : on se déplace dans le même. On a bougé, c’est sûr, dans le même. Après des jours, on se dit : autant rester là. » Dès la première séquence (Boue en comporte dix-neuf), le poète travaille la phrase au corps, resserre le propos autour de son objet. Antoine Émaz presse la langue : « Cet homme, un autre, une peau, des os qui tiennent debout la peau. » Le trait est net et tranchant. La voix d’Émaz est essentielle. Chaque mot y est estimé, méticuleusement pesé. Lisant Boue, le sentiment vient que rien ne pourrait être dit autrement. Le moindre écart réduirait au silence.
La voix du poète est placée, comme celle de l’acteur, et la forme semble s’imposer d’elle-même. Une prose dépouillée - « Un corps a été poussé sur le trottoir et on a fermé le volet. » - précède des vers abrupts : « la peau ne se tend plus/ un tambour mou/ c’est vieux forcément ça absorbe/ comme ça peut ». Émaz dispose d’un large registre. Lorsque la langue peine à dire, il ne livre plus les mots qu’au compte-gouttes. Le poète n’emploie jamais le je. Il garde toujours ses distances. Le on lui permet de conserver sa lucidité. Il fait naître, aussi, une complicité, entre écrivain et lecteur. La voix est très proche. Antoine Émaz observe pour nous tous : « On n’a pas de réponse mais ça n’interroge pas ». Par leur titre, les recueils précédant s’attachaient à la recherche d’une position au sein du monde. Après En-deçà (Fourbis, 1990) et Entre, le poète donne une nouvelle direction à son travail et ancre directement le propos dans la matière. (Signalons la publication d’un autre texte, intitulé Sable, aux éditions Tarabuste, cette année). Il s’agit dorénavant de nommer précisément le lieu de tout mouvement.La boue figure ici la matière où le corps est tenu d’évoluer : « La boue prend l’empreinte mais assez vite l’efface : tout redevient égal. » Chaque mouvement semble voué à l’échec, car la boue revient toujours à elle-même : « Autour absorbe le moindre geste, serre mou. » C’est un lieu sans bords. La boue est bien cet espace paradoxal où tout stagne et tout chute en même temps. Quand « dehors prend toute la place », on a « peur de ne plus se retrouver. Ne plus pouvoir sortir, rester englué ». Elle est aussi le lieu de l’origine et celui du retour. L’avancée est toujours inutile, puisque « ce qui fixait le pays/ tient dans la caisse ». Si le corps ne parvient pas à marquer l’espace, il se charge de nombreux fantômes. La mémoire, chez Antoine Émaz joue un rôle primordial : « la terre bouge/ dans l’oeil ». Le souvenir charrie la poussière, de multiples ombres qui « accroissent la dune pays mangé de sable  ». Les morts comptent beaucoup. Ils traversent souvent le texte. Le poète aimerait parfois qu’ils cessent de le hanter : « maintenant il faut couper court/ plus court encore/ couper/ à même la mémoire et/ ne plus y revenir/ maintenant ». Les morts sont de sable, bien souvent. La boue a séché. Impossible de fixer longtemps ces figures qui filent entre les doigts. la boue enserrait. Changée en sable, elle s’échappe : « reste un pays de vent d’ombres -dunes- au bout de la mer -comme si on pouvait couper la séquence là dans l’oeil ».La mémoire dicte le mouvement au poète. Elle le tire en arrière, parce qu’elle est liée à la boue : « On s’enfonce dans cette terre grise, sale, croûtée. Pourtant, presque pas de mémoire précise, comme la mémoire d’une mémoire, mouvante assez, active à travers cette vase, imposant son détour. »
Émaz nous amène à envisager l’inutilité du mouvement. Tous les efforts sont vains. Et pourtant, le poète ne cesse d’arpenter la terre et c’est cette résistance, ce constant désir de ne pas rester en place, qui donnent tant de force à sa voix. Le poème est une route. Le monde apparaît comme une marche forcée : « …il reste peu de temps ; on se met en marche. » L’errance, comme seule alternative et puis, la tentation de nommer : « Presque le corps réduit à se respirer : cela ne peut durer longtemps. La boue autour et dedans : quelques mots bulles, en réserve, pour attendre. » La marche est interrompue, dans certaines séquences de Boue. Surgit alors la même image, obsessionnelle, celle d’un corps vieux, assis dans une cuisine : « quelqu’un vieux/ corps/ là// tassé par son propre poids/ et celui du jour ». On est très proche, dans ces scènes, d’un renoncement définitif. L’être qui nous fait face pourrait sortir d’une pièce de Beckett. Le corps ne se déplie plus. Il ne vit que par la parole : « se taire serait pire avec/ juste les ombres  ». Il est hanté, sur le point d’en finir, et la mémoire le cloue à sa chaise : « encore vivant devant/ c’est tout ce qu’on peut dire/ avec ce qui a versé/ de l’autre côté du sombre/ quand ça passe en bourrasques/ de pluie de nuit de bruits qui cassent/ des fibres ». On progresse toujours avec prudence, dans le poème. Émaz met souvent en doute l’utilité de la présence : « l’important n’est pas d’être là/ on le saurait/ mais d’être encore pourtant/ là/ sans être sûr ».La boue est sombre. Elle est épaisse, comme la nuit, et coule lentement. La voix d’Antoine Émaz répond à la même définition. Elle transporte beaucoup de douleur. Son authenticité touche profondément le lecteur. Émaz est un visionnaire. Il fait partie de ceux qui captent la sensation à la source. Sa voix vient du ventre. Boue est un texte sans lyrisme, exact. Il ne se fige jamais. Le livre, refermé, continue de s’écrire.
BoueAntoine Émaz
Deyrolle éditeur120 pages, 98 FF

Les Sens de la marche Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°21 , novembre 1997.
LMDA PDF n°21
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