Giovanni Giacomo Casanova, dit le Chevalier de Seingalt, a 52 ans lorsque Arthur Schnitzler débute ce court récit qui imagine les derniers jours du galant aventurier avant son retour à Venise, sa ville natale, où il fut emprisonné et humilié vingt ans plus tôt pour athéisme, libertinage et mysticisme. Si son évasion en 1756 de la prison des Plombs l’a fait entrer dans la légende, c’est comme un mendiant après des années d’honneurs et d’ignominies qu’il s’apprête à sortir de son exil pour rejoindre sa patrie. L’amant aux milliers de femmes a vieilli, son nom « que tant de fois la tendresse avait murmuré, tant de fois balbutié la passion, tant de fois crié la volupté » résonne comme un mauvais souvenir. Les princes et les eccléciastiques ne le comblent plus de leurs faveurs, son linge est rapiécé, sa bourse vide. Le visage éteint, Casanova cherche à présent le lustre par l’écriture. Dans une auberge lombarde, il prépare un pamphlet contre Voltaire pour « anéantir le Français impie » (Casanova a réellement rendu visite à l’auteur de Candide à Ferney)… jusqu’au moment où il rencontre la sage et bien-née Marcolina qui aime le beau Lorenzi. Cette brillante étudiante en mathématiques représente ce « phénomène merveilleux » qu’il a tant quêté : la femme vertueuse. Pour la séduire, Casanova retrouve son éloquence, ment à tour de bras, apporte « la preuve de son universalité » en dissertant tant sur la qualité des pâtés polonais que sur la philosophie. Rusé et infâme, il parviendra à ses fins au prix d’un double crime.
Pour Arthur Schnitzler, l’un des premiers écrivains influencés par la psychanalyse, et que Freud préféra éviter « de crainte de rencontrer mon double », Casanova est un sujet béni. En jouant à merveille avec les variations entre être et apparence, impulsion et réflexion, l’écrivain viennois rend compte des puissantes contradictions de l’âme de l’hédoniste. En invitant un libre-penseur à la table des nantis, il ridiculise les mœurs bourgeoises. Et cette tonalité teintée d’impressionnisme qui baigne chaque page exerce un mystérieux pouvoir : celui de décortiquer le ressort dramatique sans pour autant forcer la main à son dénouement.
Le Retour de Casanova
Arthur Schnitzler
Traduit de l’allemand
par Maurice Rémon
10/18
190 pages, 38 FF
Poches Vieux beau sur le retour
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Philippe Savary
Un livre
Vieux beau sur le retour
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.