Le paradoxal Michel Jourdain n’a pas son pareil pour taire. Avec Lettres mortes (Champ Vallon, 1999), on avait remarqué comment il parvenait à évoquer un sujet en le contournant délibérément. Sa pudeur, assortie peut-être d’un goût de la feinte ou d’un empêchement très intime laisse à ses lecteurs un large espace de liberté au coeur duquel naissent peu à peu les questions, celle-ci en particulier : de quoi nous parle Michel Jourdain ? Car il est évident qu’il parle toujours d’autre chose.
Présentée comme une « histoire vraie », ce qu’elle est au fond, Une petite ville au bord du désert se signale par l’économie de moyens avec lesquels Jourdain procède à la description quasi ethnographique (habitudes alimentaires, hygiéniques, vestimentaires, moeurs, etc.) d’une bourgade plutôt sympathique, plutôt du Maghreb -située en pays Algdes, c’est-à-dire l’Algérie, juste en face du pays Franchon… Écriture sobre, observations méticuleuses épicées de pastilles d’humour à froid, le récit est apaisant. Trop. Le silence annonce une catastrophe. Il faut avoir été vigilant pour la saisir page 21 sous la forme d’un adverbe anodin : « Ce que les habitants de la ville regrettaient, c’était de ne pas voir défiler les canons. Ils les entendaient quotidiennement, mais ne les avaient jamais vus. » Dès lors, on lit différemment. Les périphrases et les litotes sautent à l’oeil. « Arrondir les angles » signifie soumettre, « la colline de la protection des biens » est une caserne, le « Sauveur présidentiel » un Charles De Gaulle, etc. On rejoint l’« histoire vraie » puisqu’au bout du compte « il n’y a plus de ville. Pas une pierre, pas un reste. Rien. » À sa manière unique, Michel Jourdain a situé dans ce récit écrit durant l’été 1970, sa guerre d’Algérie hors du livre. En cela, son art d’écrire prend le contre-pied du pléthorique et majestueux Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat.
Une petite ville au bord du désert
Michel Jourdain
Champ Vallon
142 pages, 13 € (85,27 FF)
Domaine français Silence, on guerroie
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Éric Dussert
Un livre
Silence, on guerroie
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.