S’il vous plaît, lisez ce livre. Si vous ne l’aimez pas, vous ne le payez pas. » Danièle Valin se souvient encore de tant de sollicitude. C’était il y a plus de dix ans. Une amie d’Erri de Luca, proche du mouvement Lotta Continua, venait de monter une librairie à Paris, boulevard Saint-Marcel. Le livre en question est celui de notre auteur, son premier, Non ora, non qui, publié en 1989 en Italie. « Dès la lecture, je fus bouleversée par cette langue syncopée. J’ai trouvé le texte tellement magnifique que je voulais le traduire ». Le plus surprenant, c’est que Danièle Valin n’a jusqu’alors rien traduit, ou presque. Elle téléphone à Bernard Simeone, directeur de la collection « Terra d’altri » pour dire son envie (Verdier avait acheté les droits). « Quelqu’un était déjà sur le coup. Mais quelques mois passés, Simeone m’appela car la première traduction ne lui plaisait pas. Je fis donc un essai… » Aujourd’hui, on peut parler de fidélité. D’origine niçoise, Danièle Valin a traduit tout Erri de Luca et son travail a été couronné ce printemps par le prix Laure-Bataillon qui récompense la meilleure oeuvre de fiction traduite en français dans l’année (Montedidio en l’occurrence). « Fidélité ? On m’a toujours demandé de le faire, Erri de Luca aussi, ça allait de soi », dit celle qui dirige la bibliothèque des études italiennes à l’Université de Censier. « Ses livres donnent le vertige. Ce n’est jamais simple. » Et d’expliquer la singularité de cette langue « à la syntaxe heurtée, au rythme martelé qui fait entendre le napolitain ». En fait, « j’essaie de rendre cette musique. Erri écrit comme il parle. »
Curieusement, Danièle Valin dit rencontrer peu d’écueils pour rendre une copie aussi proche de l’original (« Il me suggère aussi beaucoup ») hormis avec Trois chevaux où « il a été très loin dans l’invention ». Ce qu’elle redoute le plus : les passages de l’Ancien Testament. « J’ai toujours un peu peur. La translitération italienne de l’hébreu n’est pas la même en français, elle est plus fantaisiste, moins rigoureuse. Je suis obligée de respecter sa version, tout en étant aidée par un professeur d’hébreu. »
Respect. C’est un joli mot. Pour l’oeuvre : « Erri de Luca est très fort dans le texte court. La nouvelle Le Cri dans En haut à gauche est pour moi la perfection ». Pour l’homme : « Rigueur de vie », « simplicité », « loyauté », énumère la traductrice, amusée de ce que l’écrivain napolitain intrigue tant les journalistes par son « pseudo-mysticisme ». L’aventure se poursuit. Prochain travail : Noyau d’olive, un recueil de commentaires sur la Bible paru cette année en...
Dossier
Erri De Luca
« Il écrit comme il parle »
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Philippe Savary