Autant l’avouer d’emblée, les inconditionnels de Paul Klee (1879-1940) risquent d’être déçus par ces lettres qui s’étirent du 22 octobre 1901 au 2 mai 1902, période durant laquelle il effectua un voyage en Italie en compagnie de son ami Hermann Haller. Déçus tout d’abord par le contenu des missives qu’il adresse à sa famille, dans lesquelles il rend minutieusement compte de ses dépenses, autant pour expliquer à ses parents comment il utilise l’argent qu’ils lui versent que pour légitimer les rallonges qu’il sollicite. Déçus ensuite parce qu’il n’est guère question de peinture : le lecteur découvrira peut-être son admiration pour Mantegna et Vinci, s’étonnera de le voir décider de peindre directement à l’intérieur d’un cadre, mais ce sera à peu près tout. L’essentiel de cette correspondance reste la musique. En 1898, il avait délaissé sa passion pour le violon, afin de se consacrer à la peinture ; il s’était même inscrit à l’Académie des beaux-arts de Munich, où Kandinsky travaillait déjà. Dans les lettres destinées à sa future femme Lily Stumpf, Paul Klee commente les nombreux concerts auxquels il assiste (la lettre du 10 mars 1902 est intégralement consacrée à la présentation de la Tosca de Puccini), sa formidable oreille de mélomane lui permettant de comparer les différentes interprétations, ou d’apprécier la virtuosité de tel soliste, la qualité des cordes, la justesse d’une voix…
Déçus enfin parce que cette correspondance, qui tient avant tout du journal de voyage, présente moins d’intérêt que le Journal lui-même (disponible dans les Cahiers Rouges de chez Grasset), et plus particulièrement les belles pages consacrées à son voyage en Tunisie. Ici, on ne lit guère que son enchantement pour Gênes et Naples, et son goût pour ces étranges animaux de compagnie que sont les chouettes.
Ce qu’il faut donc retenir de cet ensemble de lettres, c’est le combat que se livrent encore en lui la musique et la peinture. En quelque sorte, le témoignage d’une transition difficile.
Lettres d’Italie
Paul Klee
Traduit de l’allemand
par Anne-Sophie Petit-Emptaz
Farrago Léo Scheer
168 pages, 18 euros
Histoire littéraire Portrait d’un mélomane
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Didier Garcia
Un livre
Portrait d’un mélomane
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.