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Histoire littéraire Charlie à cœur ouvert

mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43 | par Didier Garcia

Enraciné dans l’univers artistique des années 1920, le "Journal" de Charles Du Bos accueille le lecteur dans l’antichambre d’une œuvre critique pleine d’enthousiasme. Réédition du premier des trois tomes.

Héritier de la langue anglaise par sa mère, d’une fortune coquette par son père, et d’une santé fragile par les caprices du destin, Charles Du Bos (1882-1939) fut surtout un essayiste, ou mieux encore un « analyste » selon le mot d’André Maurois, ainsi qu’un traducteur infatigable (on lui doit, entre autres, la version française des Dubliners de Joyce). L’essentiel de son œuvre tient dans son Journal et les sept volumes d’Approximations (désormais réunis aux éditions des Syrtes), dans lesquels il propose une réflexion libre sur les œuvres d’art qu’il aimait et sur les émotions qui l’agitaient (somme dont François Mauriac a pu dire qu’elle constituait le « journal de ses lectures »). Par souci d’exhaustivité, il resterait à mentionner un volume de correspondance avec celui qui l’appelait « petit Charlie » et qui fut un de ses compagnons de route, à savoir André Gide.
À l’instar d’un Amiel, auquel il se réfère volontiers, c’est son Journal que Charles Du Bos tenait pour son œuvre essentielle (après avoir longtemps disparu des librairies, les deux autres tomes, couvrant les périodes 1926-1929, puis 1930-1939, sont d’ailleurs annoncés à paraître chez le même éditeur en janvier 2004 et 2005). Dans une mise au point capitale du 12 janvier 1925, Du Bos s’explique sur la raison d’être de cet accompagnement qu’il a très tôt cessé de rédiger, préférant le dicter à ses secrétaires : « Le Journal à l’origine représente pour moi le suprême recours pour échapper au désespoir total en face de l’acte d’écrire ». Entreprise vitale dont il publia quelques fragments de son vivant (bien que l’essentiel fût promis à une publication posthume), et qui reçut l’approbation d’André Gide : « n’abandonnez jamais le fragment et le journal : c’est votre forme » (on imagine sans peine le pouvoir d’un tel encouragement !).
Voici donc un Journal qui requiert une lecture attentive, qu’il convient même de lire comme s’il s’agissait d’un essai, Charles Du Bos s’y révélant aussi exigeant que dans ses propres études. Rien ici qui tienne de la note, telle qu’elle se donne à lire dans le Journal d’un Léautaud : la pensée qui s’y déploie rappelle davantage la manière d’un Gombrowicz ou d’un Gide -certains passages, traduits en fin de volume, se trouvent même intégralement rédigés en anglais. On peut y lire des reconstitutions minutieuses de conversations avec les gens de Lettres les plus en vue (discussions qui vinrent parfois à nourrir ses « études »), des notes qui courent sur plusieurs pages (21 pour le vendredi 21 août 1922 !) et auxquelles il n’hésite pas à donner l’ampleur d’une réflexion (ainsi celles consacrées à la philosophie de Bergson), des projets littéraires plus personnels (comme cette autobiographie qui connaît alors ses balbutiements), des brouillons de cours, et l’obsession de l’emploi du temps, qu’il ne cesse de régler, de toujours mieux ajuster, afin d’optimiser le temps dont il dispose (règle de vie en tout point drastique : « que l’emploi du temps soit toujours arrêté dans ses moindres détails la veille »).
Si Charles Du Bos y consigne peu d’événements privés, il s’y autorise quand même quelques plaintes, sur ses ennuis de santé, la surcharge de travail (que douze heures quotidiennes ne parviennent guère qu’à réduire -« on ne peut travailler et vivre ; on fait l’un ou l’autre »). À compter de l’année 1924, le Journal devient le lieu privilégié de l’introspection ; s’engage alors un dialogue avec soi-même, où son âme inquiète trouve enfin à s’exprimer : « à dix minutes de distance je ne suis plus le même. D’où vient cette absence complète de toute stabilité en moi ? » Mais sa matière première reste la littérature : le Journal progresse au gré de ses fidélités (envers l’œuvre de Proust notamment, à qui il rend hommage le jour de sa mort), et plus encore de ses engouements successifs, véritables petites crises amoureuses (Valéry, Bergson, Ruskin, Nietzsche…)
Nul ne s’y trompera à la lecture de ce premier tome : tenir un journal fut pour Du Bos une activité vitale (« quand je reste de longs mois consécutifs sans faire de notes, il me semble que je romps tous mes liens avec le présent »). Vitale non seulement à un niveau existentiel, mais peut-être davantage pour l’organisation de son travail critique : dictée « pour dégager des calories » (« tâcher de me galvaniser »), la prise de notes dans le Journal sert d’étape préparatoire et nécessaire à la rédaction de ses articles (on recommandera donc de lire parallèlement l’épais et riche volume des Approximations). Le Journal se fait ainsi l’antichambre de la réflexion, Charles Du Bos imitant alors l’activité du pianiste qui, avant que d’attaquer telle sonate, se fait les doigts avec des gammes et des arpèges.
Certains le déploreront peut-être, les jugements se montrent rarement négatifs : il se dit lassé par Novalis, Chateaubriand lui est devenu impossible, et il lui paraît « difficile de ne pas reconnaître que Flaubert écrit mal », mais l’essentiel fait entendre des éloges qui ne donnent guère dans la mesure (Du Bos avait fait siens les mots de Renan : « On ne doit écrire que de ce qu’on aime »). Bien que faisant preuve d’une pénétration et d’une grande sûreté de jugement, il se livre volontiers à des aveux éperdus d’admiration, et le mot de « génie », associé à une avalanche de superlatifs, séduit trop souvent sa pensée, du « génie de Mme de Noailles » au « génie tactile » de Tolstoï, sans omettre le « génie d’expression » chez Chateaubriand ou l’« exceptionnel génie » de Baudelaire… Il ne manque qu’un vrai coup de gueule pour valider ces admirations pourtant sincères.
Après tout, qu’à cela ne tienne : le Journal entraîne dans le tourbillon des « twenties », confronte le lecteur à l’univers artistique de l’époque (concerts, poésie, littérature étrangère, philosophie), aux petits événements du landernau littéraire, comme la nomination de Gaston Gallimard à la direction de la Nouvelle Revue française, et à un esprit volontiers mystique qui avait dédié son existence entière à la littérature. Pour tout dire : ce que l’on peut attendre d’un authentique journal littéraire.

Journal, 1 (1920-1925)
Charles Du Bos
Buchet Chastel
1092 pages, 38

Charlie à cœur ouvert Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°43 , mars 2003.
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