Situé sur une ancienne voie romaine au nord-ouest de Nîmes, Gajan domine une garrigue balafrée par la nationale qui mène à Alès. On peut ici vivre en retrait sans pour autant rester isolé. Peu faites pour les voitures, les rues du village serpentent entre les maisons, débouchent parfois sur une placette où résiste un jeune olivier protestant et maigre. René Pons habite là, une demeure sans sonnette qui veut qu’on entre sans frapper. On est accueilli d’abord par un jardin méditerranéen aux couleurs printanières. Un espace zen que surplombe la maison. Celle-ci, chaleureuse dès l’entrée ajoute à la clarté du jour une éblouissante litho du peintre Claude Viallat. On s’attendait à l’austérité des ermites, à des volets qui grincent sous le vent, à l’obscurité des cavernes… La femme de notre hôte, souriante et méridionale comme savent l’être les Anglaises nous fait soupçonner la duplicité de l’écrivain dont l’encre est plus noire que la mort. Il est vrai que si Le Bruissement des mots fait percevoir la plaintive lucidité habituelle de l’écrivain, La Véritable Mort de Don Juan, dans les ruines de la fiction, fait retentir le comique d’une ironie mordante. Au final, celui qui a écrit des livres aux titres joyeux tels Carnets du vide ou Cheminement vers le rien semble bien plus fréquentable que ses livres.
Le bonhomme ne paraît pas avoir passé le cap des 70 ans. Alerte, bien qu’il se plaigne de rhumatismes qui l’empêchent de jouer du piano, il porte, sur son visage de parchemin, un regard malicieusement plissé. Né près de Montpellier en 1932, il vécut sa prime enfance à Paris jusqu’à ce que la guerre lui fasse reprendre la direction du Sud. Dès qu’il sait lire, il découvre la littérature, dont Moby Dick que des réfugiés belges hébergés par ses parents durant la guerre lui avaient offert. Le Capitaine Achab sera suivi de Fracasse puis des personnages de Molière qu’il dévore. Les études sont « capricieuses » : commencées par deux ans de médecine, elles se concluent par une licence de Lettres et une d’espagnol. L’enseignement lui tend les bras. Il fréquentait depuis le lycée les peintres comme Vincent Bioulès un des fondateurs de Support-Surface (créé en 1970). Avec son ami Alain Clément, René Pons entre en 1976 à l’école des Beaux-Arts de Nîmes : « Ça a été la révolution : on s’est comporté comme d’affreux jojos, avec un côté soviétique face aux autres enseignants ».
Depuis ses vingt ans, l’écriture s’est imposée dans la vie de René Pons. « Au début, mon désir se calmait dans le courrier. J’ai encore de grandes correspondances avec des personnes que je n’ai jamais rencontrées. » Il commence par de petites proses, puis des nouvelles. Le premier texte est publié dans Les Cahiers de la licorne, revue montpelliéraine. « À 29 ans, je venais de mettre le doigt dans l’engrenage. » Les débuts sont idylliques. Quatre nouvelles envoyées à Gallimard sont acceptées : L’Après-midi (1962) est publié dans la collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs qui lui avoue : « Votre livre ne se vendra pas mais je l’aime. » En dix ans, cinq livres éroderont la patience d’Antoine Gallimard qui devant l’encéphalogramme plat des ventes mettra le holà.
Si, comme il l’écrit dans Entours le livre est « la cristallisation la plus intime de l’être, un charbon lentement formé de l’écrasement infiniment lent de la forêt intérieure », on devine de quelles ténèbres s’extrait cette œuvre d’où le roman reste banni (mais certains titres y partagent un air de famille). Après la parution de La Baleine blanche (1972), un silence de dix ans marque une période difficile de troubles psychologiques. Quand l’homme retrouve le chemin de l’écriture, la rue Bottin lui ferme ses portes. Actes Sud accueille Au jardin des délices (1983) dans son jeune catalogue et l’écrivain dans son comité de lecture. Trois livres en trois ans mais lorsque Hubert Nyssen prend le parti de développer sa maison, René Pons, en désaccord, s’en va. « À partir de 87, j’ai essuyé un nombre considérable de refus ». Pour autant la liste des ouvrages s’allonge (plus de trente volumes) grâce à des éditeurs comme Cadex, Le Castor Astral ou Marval : « je suis un type qui fait perdre de l’argent à ses éditeurs et qui continue à être publié. » L’œuvre, de plus en plus, met l’écriture au cœur de son sujet. Comment ne pas penser à Roger Laporte dans ces confessions ressassées d’un livre l’autre : « il me semble que si je m’arrêtais d’écrire, je tomberais en poussière comme le cadavre desséché que l’on remonte à la lumière » (Le Bruissement des mots). Dicté par l’écriture elle-même (« Ma pensée ne précède pas l’écriture mais se crée du mouvement de l’écriture »), Le Bruissement des mots découvre aussi les faiblesses de son auteur pris entre le diktat exclusif de l’écriture et le désir du monde. Si on lui fait remarquer que son œuvre évoque le chemin de ronde qui tourne autour du projet de Livre mallarméen, René Pons en convient : « Toute sa vie on écrit autour de quelque chose qu’on n’arrivera jamais à dire. Je manque totalement de confiance. J’ai consacré ma vie à l’écriture pour un résultat minime. Entre un génie et un écrivain du second rayon, il y a une différence de résultat mais pas de souffrance. C’est terrible. »
Paradoxalement, il y a quelque chose de vivifiant à lire ses colères contre le pape (Seigneur… délivrez-nous du Pape !, Jean-Claude Bernard, 1996), ses Lettres à des morts plus vivants que les vivants (Paroles d’aube, 1999) et ses carnets de graphomanes. L’écriture, dans sa noirceur, dégage une énergie susceptible d’aiguillonner les consciences quand elle ne se complaît pas dans la plainte. René Pons sait aussi manier l’ironie mordante, qu’il conduit vers un moralisme endeuillé. Fantaisie feuilletonesque, La Véritable Mort de Don Juan nous présente le héros mythique accompagné de Léporello, tous deux clochards de notre temps. Le comique permet la charge sociale. La mort de Don Juan, misérable donne l’occasion à Léporello d’une dernière flèche : « v’là qu’aujourd’hui les myth’ s’consum’ en faits divers ! » La littérature peut-elle brûler ?
René Pons
Entours
L’Art & maintenant
(92, cours Julien 13006 Marseille)
59 pages, 23 € - photos
de Jacques Clauzel
Le Bruissement des mots
Cadex
76 pages, 12,50 €
La Véritable Mort de Don Juan
Le Bruit des autres
233 pages, 16 €
Zoom Au bord du gouffre
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Thierry Guichard
Graphomane impénitent que l’écriture retient au bord du vide en même temps qu’elle l’y plonge, René Pons nourrit son œuvre impatiente d’une lucidité sombre.
Un auteur
Des livres
Au bord du gouffre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.