Bernard Vargaftig a toujours tenu au travail spécifique du vers, allant même jusqu’à parler d’une rythmique comptée, d’un équilibre presque mathématique des coupes, rejets, balancements et syncopes. Mais ce n’est pas seulement le pied du vers qui lui importe, mais l’écoute continue de ce qui, en lui, se dit de la complexité du monde et des perceptions que nous en avons. Depuis plus de quarante ans, le poète cisaille son vers comme une lame de couteau vibratile. Ses livres s’attachent ainsi, régulièrement, à décrire la stupeur, l’aveu, la peur, par lesquels « la même cassure/L’image de la rapidité » reviennent à nous. Comme respirer, son nouveau livre, s’ouvre à cette même expérience de l’« infinie venue des choses ». La falaise, la hâte et l’oubli, la chute, le feuillage qui bouge dans le vent en sont encore les traces fugaces et insistantes.
On a parlé à son propos d’un principe dynamique de répétition. C’est juste. Mais il faudrait aussi dire qu’il y a, dans cette façon de ramener dans chaque poème des expériences presque perpétuelles, une sorte d’indifférence à la finalité du livre. Ce n’est pas tant ce qu’il sera qui importe que l’énergie motrice qui l’aura fait. La démarche est là proche de l’exercice du sage Zen balayant inlassablement la cour du temple et méditant, chaque jour, à partir des feuilles tombées du même arbre. Des mots sont là aussi tombés, comme cette « précipitation », ce « frémissement », cette « Déflagration ». Mais Vargaftig leur ajoute toujours autre chose ; cela tient à un mot de plus, à la façon qu’il a d’être placé au bout d’un vers, de casser le sens donné pour précipiter le poème vers sa rapidité insatiable : « la nudité de l’insistance un ravin/ L’approche l’approche sans cesse ». Voilà tout ce que fait le poème vargaftien : il place au plus juste ce « ravin », et double alors « l’approche ». Parce qu’écrire pour lui revient à approcher le mot indomptable. C’est sa magnifique leçon.
Comme respirer
Bernard Vargaftig
Obsidiane
75 pages, 13 €
Poésie Accélérer, toujours
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Accélérer, toujours
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°45
, juillet 2003.