Pour dire qui est André Benedetto, il faut convoquer les mots de soleil, garrigue, pin. Situer le Marseillais dans cette Provence qu’il ne veut pas quitter.
Il naît au théâtre à Aix-en-Provence où étudiant, il met en scène Antigone d’Anouilh puis en Avignon où il fait le régisseur en 1958, lors du festival de Jean Vilar. En 1961, une salle de bistrot au destin polymorphe accueille La Chute de la Maison Usher qu’il met en scène. En 1963, sa première pièce est créée : Le Pilote d’Hiroshima se fait l’écho de la lecture d’un reportage sur celui qui lâcha la bombe… Le dramaturge naissait en même temps que le théâtre qu’il allait porter : le théâtre des Carmes en Avignon. L’époque n’est pas seulement une question de chronologie : l’homme vit avec son temps, c’est-à-dire qu’il s’y plonge (on voulait écrire « qu’il s’y engage » mais le poète et dramaturge refuse ce terme). Et il travaille dans un pays « où la dépolitisation ne cesse de gagner » où l’on assiste à « l’effondrement culturel, la perte des forces vives issues du pays profond détournées vers des structures très coercitives comme les conservatoires ». La compagnie se structure dans les années soixante, encouragée par le Père Jacques de la Celle, prêtre renégat et cinéphile qui accueille les comédiens et quelques familles d’immigrés dans le cloître. « On va intégrer tout ce qui va passer à notre portée : (…) les faits du monde, les changements autour de nous et surtout tous les obstacles au changement, habitudes, manies, pathos, rites et pratiques conservatrices, clichés et idées reçues… »
Il y aura la période lutte des classes, l’exploration du monde, des dizaines de spectacles.
Et puis arrive 2003, la culture emmédefiée par le baron et Raffarin. Alors, dans l’été déjà caniculaire de juillet, quand pour la première fois de son histoire le festival d’Avignon doit jeter l’éponge, Benedetto, sa compagnie et celles invitées au théâtre des Carmes décident de ne pas faire comme tout le monde : ni jouer malgré tout, ni faire grève, mais jouer la grève. « L’idée m’est venue le 10 au matin. Je me suis dit : « l’intermittent ressuscité par le président de la République ». Mais il n’y avait plus d’espoir, alors j’ai enlevé la fin de la phrase. » Ce sera L’Intermittent ressuscité : une improvisation répétée deux fois par jour. Les acteurs sont couchés sur la scène et accompagnés d’un conteur et d’un musicien, seuls ou à plusieurs, ils interprètent des saynètes qui disent la situation présente : deux comédiennes se disputent sur le fait de savoir s’il faut ou non jouer, un directeur de théâtre prend la parole. À la Première, le spectacle dure vingt-cinq minutes ; soixante-cinq à la dernière. Après chaque représentation, un débat s’ouvre avec le public. Avec sa gouaille de jeune méridional, Benedetto s’enthousiasme encore de ce qui s’est dit. Et répète que pour lui « il faut résoudre les contradictions en se servant de l’obstacle ». On arrive alors à ce paradoxe ironique : cet été, le baron Seillière et le Premier ministre ont servi le théâtre. Au moins place des Carmes.
Vie littéraire V’là les comédiens
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Thierry Guichard
Cet été en Avignon, André Benedetto a mis la grève des intermittents sur scène. Pour en débattre.
Un auteur
V’là les comédiens
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.