Non, non, ce n’est pas une trilogie ! » rectifie Éric Faye, qui préfère parler d’ « un triangle équilatéral dont aucun côté ne ressemble à l’autre. » Soit. Le premier (champ) fut tracé fin 1999 : en ouverture du recueil éponyme, Les Lumières fossiles introduisaient et escamotaient dans un même mouvement le personnage de Solange Brillat. Le narrateur y subissait l’attraction d’une planète morte, sa voisine disparue un 25 juin sans laisser le moindre mot d’explication fascinant récit tendu comme un fil, entre enquête policière et ballet pour un fantôme et quelques morts-vivants. Le deuxième (contre-champ) remonte à 2001 : la fugitive prenait la parole, ne laissait à personne d’autre le soin de disperser Les Cendres de (s)on avenir. Il faut ici se figurer une rencontre entre Bioy Casares et Modiano. D’un côté, la lente révélation, au sens propre comme au sens figuré, d’un double du personnage principal qui est aussi son triple, laissons le soin au lecteur de vérifier comment fonctionne cette équation à une inconnue en cavale. De l’autre, comme un refrain de limonaire en sourdine, un plan de Paris, des annuaires et des cabines téléphoniques (à pièces !). Fantastique et mélancolie.
La parution de La Durée d’une vie sans toi revient à compléter le triangle tout en fermant le cercle puisque, à la manière des Lumières fossiles, le roman trouve son origine dans un fait divers : l’évacuation de tout un village, histoire de neutraliser quelques souvenirs potentiellement explosifs de la Première Guerre mondiale. Encore un triangle, des Bermudes cette fois, qui ne pouvait manquer d’inspirer notre auteur : « Un périmètre où, pour la première fois depuis des millénaires, il n’y a plus d’hommes. Une ambiance à la Stalker de Tarkovski qui me paraissait recéler des potentialités poétiques. » Ce no man’s land devient bientôt un no man’s time : les époques historiques se confondent tout comme s’embrouillent les chronologies personnelles de deux personnages revenus hanter leur village natal : la désormais fameuse Solange Brillat et Marin Sérianne, l’ancien fiancé de sa mère. Deux passagers clandestins de leur propre passé, embarqués pour une traversée de la dernière chance. Leurs chants d’abord séparés s’élèvent et se mêlent à la cantilène de vies avachies comme des vieux vêtements. Petites musiques interprétées par un écrivain qu’on a rarement lu mieux inspiré et davantage maître de son art, même lorsqu’il délaisse son registre favori et que quelques notes d’espoir viennent en définitive ponctuer le solo de blues.
Il y a dans ce roman la révolte contre le destin et la soumission à l’existence, les chances gâchées et les risques à courir, les façades grises et l’envers du décor, l’inventaire de notre planète pour solde de tout compte et l’illusion renouvelée que chaque couple peut refonder le monde à la manière d’Adam et Ève. Et il s’y trouve aussi cette inimitable façon de décoller vers l’ailleurs et l’hier en partant de l’ici et maintenant : « Il...
Dossier
Eric Faye
L’Ange et le marin
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Eric Naulleau
Dans le village de Sauveterre le bien nommé, deux êtres seuls au monde pour une fable hors du temps.
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